Entretien — Florian & Michael Quistrebert
Pour leur troisième exposition à la galerie Crèvecœur, les frères Quistrebert poursuivent, à travers différents médiums, leur recherche fantasmatique et symbolique.
Vous présentez dans cette exposition de nouvelles pièces réalisées cet été. Quel nouvel angle de réflexion avez-vous abordé ?
Nous présentons dans le cadre de Laure & Jane Dumond à la galerie Crèvecœur, des œuvres réalisées à diverses périodes. La vidéo Dots a notamment été conçue pour la biennale de Marrakech en février dernier. Nous nous sommes servis du champs visuel et décoratif local et avons choisi, comme matière première, une danse traditionnelle d’un derviche tourneur. Les quelques peintures ont été exécutées durant l’été dans notre studio à Amsterdam, ville dans laquelle nous sommes en résidence dans le programme de la Rijksakademie. Ces œuvres ont comme point de départ une réflexion sur l’origine du Monde et par extension de l’Univers.
Le texte écrit par Genesis Breyer P-Orridge dans votre monographie publiée récemment par la galerie Crèvecœur, Brothers of Shadow, semble presque évoquer du mysticisme. Vous vous êtes aussi inspirés du soufisme… C’est onirique ? Poétique ? Un peu désespéré ?
Genesis est mystique, oui, c’est évident… Ce qui nous intéressait chez elle est la façon de se servir à contrepoint de codes religieux et/ou totalitaires pour inciter à se libérer des puissances extérieures et à se jeter dans les abysses de la liberté. Il n’y a rien de « désespéré » ! Tout au contraire ! Il s’agit de réfléchir sur des solutions pour créer un nouvel « Homme », plus conscient, un affranchi, un autonome. Rien de poétique non plus, il ne s’agit que d’action. Quant à nous, nous nous sommes référés au soufisme entre autres car c’est la branche la plus progressiste de l’islam. Interdite durant des siècles, elle place le sujet au centre.
Vous évoquez l’œuvre de Kandinsky, dans vos références. S’agit-il des écrits ou de sa peinture ?
Les deux. L’œuvre nous importe comme réflexion sur le sensitif. Elle est construite comme une symphonie. Dans le champ qui nous concerne, il s’agit plus de « synchromie ». Entre Kandinsky et 2012, toute une famille d’artistes ou mouvements artistiques ont développé cette idée, des premiers essais de Visual Music d’Hans Richter ou d’Oskar Fischinger aux artistes Op des années 60, comme Victor Vasarely, Carlos Cruz-Diez, Jesús-Rafael Soto ou Nicolas Schöffer… Nous nous servons bien sûr de cette culture sans pour autant avoir l’impression d’être à son service.
En suivant donc la réflexion sur la subjectivité du spectateur prônée par Kandinsky et poursuivie par d’autres, qu’attendez-vous de ce dernier ?
Nous attendons que ce dernier éprouve ce que nous avons eu envie de lui faire éprouver. Nous faisons tout pour que nos pièces s’arrêtent juste avant l’évidence, afin de laisser à ce même spectateur une sortie.
Comment vous placez-vous par rapport aux autres peintres de votre génération ?
Nous les aimons tous, sans exception, pourvu que leur peinture soit nouvelle et qu’elle ne s’enferme pas dans le système qu’elle a créé. Qu’elle se renouvelle sans cesse.
Que signifie, à notre époque, travailler sur l’ombre et la lumière, qui évoque toujours l’école caravagesque ou celle de Georges de La Tour ?
Tout comme à l’époque du Caravage, ombre et lumière sont des facteurs originels, des oppositions inséparables, comme le haut et le bas, la gauche la droite, le sens horaire et « l’antihoraire ». L’un existe car l’autre existe. Ces notions dépassent l’idée d’époque. Quant à nous, nous évitons les sujets actuels qui nous intéressent moins que les sujets éternels.
Pourquoi privilégiez-vous le noir et blanc ?
Cette question n’est peut être plus d’actualité car nous venons justement de réaliser de grands formats très colorés pour sortir de notre image d’artistes noir & blanc. Dans nos expositions antérieures, nous le privilégiions car nous voulions réduire le champs à deux teintes (avec leurs dégradés) pour nous concentrer sur leurs possibles combinaisons. L’absence de couleur permet de concentrer le propos.
Comment s’articule le lien avec la vidéo, dans cette exposition en particulier, et dans votre travail en général ?
La vidéo déploie en mouvements ce que nous posons en peinture. La durée permet des enchaînements de motifs, des montées de rythmes, à la manière d’un ballet, pour aboutir à une explosion visuelle. Pour l’exposition chez Crèvecœur, Dots en étant le noyau, nous avons opéré à l’inverse : les nouvelles toiles font écho à la vidéo. Elles en reprennent le mouvement principal. Un lien quelque peu organique se développe ainsi entre les œuvres.