Eva Nielsen — Galerie Jousse Entreprise
L’œuvre d’Eva Nielsen, présentée à la galerie Jousse Entreprise jusqu’au 22 juillet, se situe à mi-chemin entre photographie et sculpture, ou, plus précisément, organise une rencontre originale entre deux médiums qui se complètent et se transmuent pour élaborer des compositions fortes qui séduisent autant qu’elles intriguent.
« Eva Nielsen — Les Fonds de l’œil », Jousse Entreprise — Art contemporain du 18 mai au 22 juillet 2017. En savoir plus À travers un double procédé de représentation, Eva Nielsen fait vivre des lieux suspendus peuplés de structures construites par l’homme et désertées par ce dernier. Ses toiles, riches et saisissantes, apparaissent comme autant de vestiges d’un monde dépeuplé qui garde en lui les vestiges d’une industrie anciennement fonctionnelle comme autant de reliques, totems abandonnés à la nature qui s’en empare par le fond, avec cette couche de peinture qui semble émerger du dessous. Une pratique de la peinture inventive qui parvient à retranscrire les humeurs singulières d’un imaginaire vertigineux autant qu’elle repense les conditions et les formes de sa pratique pour offrir, au final, un ensemble d’images qui oscille entre inquiétude et plaisir sensible de l’inconnu.Comme un appel du vide, l’artiste élabore un univers singulier où la pesanteur du silence fait écho à l’altération, par le regard, du monde qui nous entoure. Dans les interstices naissent les souvenirs de ces prairies vierges et foisonnantes aux couleurs passées mais vibrantes, deux paradoxes qui viennent s’ajouter à tous ceux que soulèvent ses toiles. Le titre de l’exposition, Les Fonds de l’œil semble en effet rejoindre, derrière la question de la profondeur, celle du plan, de ces perspectives qui se fondent à travers l’espace pour que la rétine, par effet de sidération, parvienne à entrevoir une unité impossible, faite de contraires. S’opposent ainsi sérigraphie contre peinture, nature contre construction, noir & blanc contre couleurs, architecture fonctionnelle contre ruine… Plus alors qu’une succession de combats, il faut voir en son travail une place majeure donnée à l’hybridation, cette rencontre d’éléments disparates qui vont s’unir et se résoudre en une nouvelle réalité. En ce sens, l’exposition révèle l’importance du regard de la peintre, à la lisière des formes de représentation, un vagabondage entre les traditions qui parvient à ingérer et distiller ses propres accidents, jusqu’aux aléas de leur propre fabrication dans l’atelier.
Si dans ses toiles, le temps paraît distendu, les petits formats eux, figent sa progression et laissent entrevoir son effet. Naît ainsi une belle réflexion sur la temporalité de la confrontation de ces toiles monumentales avec des petits formats qui, eux, utilisent une superpositions d’images parmi lesquelles des des applications de toiles exposées en pleine nature aux dégradations du vent, de la pluie. La toile se fait réceptacle des images que la lumière extérieure y imprime mais aussi des « froissages », stigmates et autres traces de leur manipulation par l’artiste.
Sobre et cohérente, l’exposition rend justice à la majesté solennelle de la peinture d’Eva Nielsen, à la profonde méditation que ses toiles monumentales imposent et ce plaisir immodéré de la peinture, de la possibilité de couleur qui filtre dans ces montages qui nous invitent à l’imaginer derrière chaque ligne qui barre l’horizon. Qui de la peinture et de la photographie imprimée délimite l’autre, que reste-t-il du réel dans ces paysages de silence, où les structures métalliques, issues de photographies, deviennent prisons imaginaires d’un paysage, lui représenté, mais pourtant voisin de notre réalité ?