François Morellet — Galerie Kamel Mennour
L’exposition de François Morellet à la galerie Kamel Mennour habite ses deux espaces, (rue du Pont de Lodi et rue Saint-André des Arts) dans une scénographie irréprochable qui permet tout à la fois de cerner l’humour et le sérieux du personnage. Ainsi que de léviter sur un océan imaginaire, baigné de néons dans lequel la rétine se trouve en même temps qu’elle se perd.
« François Morellet — C’est n’importe quoi ? », Galerie Kamel Mennour du 29 mars au 17 mai 2014. En savoir plus Il y a un humour démesuré chez Morellet. Heureuse ironie qu’annonce d’office le titre de l’exposition ; François Morellet, c’est n’importe quoi ? Certes, les équations mathématiques de cet ancien industriel sont factices et ne mènent à aucune démonstration. Certes, ses œuvres sont un pied de nez permanent à l’histoire de l’art. Et pourtant, même s’il cultive une forme de sarcasme délicat, Morellet, à 87 ans, est toujours d’une rigueur absolument construite. Alors, cela a beau être « n’importe quoi », cela importe. Et beaucoup.À Malevitch et son Carré blanc sur fond blanc (1917), il répondit avec la grâce des débutants et l’assurance des aînés. Il fallait citer sans copier, moquer tout en payant sa dette. On se souvient de son Naufrage de Malevitch en 1987 qui contenait en lui la révérence et la volonté de tuer (noyer) le père, dans une ambiguïté intelligente qui permettait d’éviter l’hagiographie. Morellet cherchait à en faire le moins possible, le carré s’imposa. C’est ainsi que sous le titre de Sous-prématisme, il désacralisa cette figure annexée par les suprématistes. Ici, à la galerie Kamel Mennour, il la défigure (ou plutôt la re-configure), la décale de plusieurs degrés, lui impose quasiment une autre forme, en superposant ici de l’inox, là en la masquant avec plusieurs autres carrés en trois dimensions. Il souhaite semble-t-il soustraire au carré sa forme essentielle. Tour de magie, car en effet, en ayant cru voir mille carrés, on sort de l’exposition en en ayant vu aucun. Morellet sait y faire. Il trompe l’œil tout en l’orientant.
Plus loin, en réactivant son installation de 2001 en hommage à Mondrian, il affirme une fois de plus que le dialogue avec l’histoire de l’art peut être léger et sérieusement s’amuser de lui-même. On flotte au milieu d’un océan de néons bleutés, sur une passerelle réalisée par Kawamata, avec la belle impression de nager au milieu d’une relecture de Pier and Ocean qui date de 1915. Morellet a cela de fascinant qu’il connaît parfaitement la juste distance pour être à la fois dans l’intimité et à la marge de ses prédécesseurs.
Cette exposition rend compte une fois de plus de la modernité malicieuse d’un artiste qui dès les années 60 activa lumière et mouvement, s’empara d’un matériau industriel pour faire vaciller la rétine du public et fit sien un vocabulaire géométrique sacré pour le sortir du temple, voire de l’église de l’art.