Dendromorphies — Créer avec l’arbre

Exhibition

Drawing, painting, sculpture, video

Dendromorphies
Créer avec l’arbre

Past: November 26, 2016 → January 11, 2017

L’idée à l’origine de cette exposition est née d’une inversion du point de vue. Comme le montre Francis Hallé, dans Il était une forêt (2013, réalisateur : Luc Jacquet), l’arbre sait déployer, avec une intelligence supérieure de l’adaptation, de multiples stratégies d’existence et de résilience : expansion territoriale conquérante, captation d’une faune commensale, recours au vent et aux oiseaux pour la pollinisation et la multiplication de ses plants… L’artiste qu’intéresse l’arbre, et qui s’applique à en démultiplier la figure et l’aura, peut dès lors être considéré comme un allié de l’arbre. De celui-ci, dont il fait le thème princeps de sa création, il va accroître la représentation, la visibilité, l’importance symbolique et factuelle. À travers ses réalisations, l’artiste dendrophile affirme de la sorte un autre potentiel de l’arbre, outre ses ordinaires capacités à être, à occuper de l’espace et à absorber du CO2 — chanter sa gloire. Cette exposition, dans cette optique, doit certes être regardée comme une somme d’expressions humaines. À l’égal, entendue cette fois depuis le point de vue de l’arbre, elle se valide aussi comme un ensemble mettant les humains au service de l’arbre pour déployer des formes nouvelles, dendromorphes — des dendromorphies.

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Persijn Broersen & Margit Lukacs, Establishing Eden, 2016 Vidéo HD, 10 Courtesy des artistes

L’arbre comme inspiration majeure L’arbre ? Citons, pour éclairage, l’encyclopédie libre Wikipédia, à l’article « Arbre » : « Les arbres jouent un rôle majeur dans le fonctionnement écologique terrestre en raison de leur capacité à stocker le carbone, à prendre une part active dans le cycle de l’eau et de manière générale à constituer les écosystèmes complexes que sont les forêts, sources et refuges de biodiversité. Ils constituent aussi pour les sociétés humaines une ressource considérable de matériaux (principalement du bois), de denrées (notamment des fruits) et de multiples services. Ils occupent dans presque toutes les cultures du monde une place réelle et symbolique importante. » La poétique écologique a ses fétiches, dont l’arbre — comme l’eau, ou encore l’air — est une composante essentielle. L’art et l’arbre, de tout temps, ont fait bon ménage, du fait notamment de la symbolisation tous azimuts dont cette création de la nature a instamment fait l’objet. L’arbre du Paradis, sur lequel pousse la pomme que vont manger Adam et Ève ; l’arbre de Jessé ; le frêne Yggdrasil des anciens Nordiques ; l’olivier au rameau symbole de paix ; le chêne des druides gaulois ; le pipal dans la culture bouddhiste ; l’arbre de vie… Ceux-là et tant d’autres, au hasard des civilisations, des époques et des styles, font l’objet de représentations qui entendent dire, qui la force, qui l’humilité, qui la socialité, qui la croissance ou la mort des êtres, des corps, du temps. Au regard de la symbolique qu’il engendre, d’une large ouverture sémantique, l’arbre est bien un objet d’art « total » : il peut servir à tout exprimer et aucune civilisation ne se passe de ses services. La modernité artistique elle-même, férue, son heure venue, de monde urbain, de technologie, de produits de l’industrie et de création expérimentale, ne négligea jamais l’arbre. Avec Matisse au temps des fauves, les arbres passent du vert conventionnel au rouge des révolutions ; Paul Klee, dans sa fameuse Théorie de l’art moderne, datant des années 1920, fait de l’arbre le parangon de la création poétique libre, celle qui cultive, contre norme et programme, le goût des dérives, des errances. De ce type de création qui, assène Klee, ne rechigne jamais à l’aventurisme, n’attendons surtout pas, comme l’arbre, qu’il « calque sa ramure sur le modèle de ses racines ».

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Askhat Akhmedyarov, Racines, 2016 Caisse en bois, arbre mort Courtesy IADA et de l’artiste

Affirmer une fraternité arboricole

En 1982, lors de la Documenta de Kassel (RFA), l’artiste allemand Joseph Beuys inaugurait avec l’opération 7000 Chênes un nouveau rapport à la nature. Plus question de se servir de cette dernière comme d’un terrain de jeu pour sculpteurs telluriques, aménageurs de paysage et autres peintres de rochers. Robert Smithson, Christo, Jean Vérame, à la trappe ! Beuys, lui, peu de temps après sa contribution à la formation outre-Rhin du parti des Grünen (« Verts »), entreprend de planter dans la région de Kassel rien moins que sept mille chênes. Ce geste, dans l’histoire de l’art du XXe siècle, va prendre valeur de signe fort : il date, pour le champ des arts plastiques, l’entrée dans l’ère de la poétique écologique. Baignant dans l’écologie politique et l’esprit écosophique, notre début de XXIe siècle se singularisepar son volontarisme pro-bio. La nature ? Il convient d’un même élan de la respecter, de la servir, de la soutenir. L’homme a endommagé le milieu naturel. Il lui incombe dorénavant d’assumer ce devoir éthique, réparer l’environnement. Cette tâche citoyenne, d’envergure globale, concerne aussi l’artiste plasticien. Au registre artistique contemporain, respecter la nature passe fréquemment par la citation de l’arbre. D’une façon conventionnelle, on en couchera la figure sur une toile (Michel Potage). Ou on en sculptera les formes (Henrique Oliveira récemment, au palais de Tokyo à Paris, qui «  insère » dans l’architecture du lieu la sculpture d’un majestueux arbre aux troncs noueux). De façon plus originale, on peut faire de l’arbre un « acteur » artistique à part entière, en recourant à l’objet arbre proprement dit, que l’on va accommoder à différentes sauces. Giuseppe Penone, artiste italien affilié à l’arte povera, a fait de ce recours à l’arbre un standard de sa création. Dès les années 1970, Penone se lie de manière ombilicale à l’arbre. Le moulage en bronze d’une de ses mains, ainsi, est inséré dans le tronc d’un arbre en croissance : bientôt prisonnier du bois, le voici serti dans l’écorce, décoratif comme peut l’être un bijou s’affichant sur un corps humain. L’artiste italien, encore, va sculpter des arbres à partir d’arbres, par évidement, de façon tautologique. Le bois de l’arbre, pour le sculpteur conventionnel, sert d’ordinaire à dégager de ses veines solides des formes qui ne sont jamais l’arbre. Penone, lui, entend bien retourner la proposition sculpturale sur elle-même : un arbre est un arbre est un arbre, même utilisé comme matériau artistique. De l’arbre réel à l’arbre représenté, l’affirmation d’un tel continuum symbolique signifie avec une belle clarté que l’artiste fait allégeance à son sujet. Le monde naturel n’est pas à l’homme mais c’est l’homme, en tant qu’une de ses parcelles, qui appartient au monde naturel. La dévotion que Giuseppe Penone, sa carrière durant, a exprimé envers l’arbre montre un intérêt qui va croissant, jusqu’à cette extrémité, avouée dans tout son éclat lors de l’exposition organisée en 2013 à Versailles, à l’intérieur du château de Louis XIV et dans les parcs du monument — l’exclusivisme. Si Penone présentait bien là au public quelques blocs de marbre aux accents minimalistes (mais alors aux surfaces veinées, comme l’est le bois), ce matériau lapidaire pesait peu comparé aux multiples sculptures d’arbres que l’artiste a mis en scène pour l’occasion : énorme arbre tronçonné et débité en rondins présenté à l’horizontale, non plus de bois mais de bronze ; arbre véritable inséré dans un double portique fait de deux immenses arbres moulés en bronze ; arbre foudroyé, au tronc fendu, dont les surfaces blessées sont pansées au moyen d’une dorure, comme ressuscité en gloire malgré son funeste destin…

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Fabrice Langlade, Souche, 2007 Résine epoxy, silicate d’aluminium, peinture PU Courtesy de l’artiste

Quand planter égale créer

Faut-il déceler en filigrane de telles propositions, derrière la glorification monumentale de l’arbre devenu objet symbolique éminent, un peu de cet esprit de « repentance » si fréquent dans la création plasticienne écologique, fort portée à se culpabiliser ? On ne jurerait pas le contraire. L’art « écologique », en plein développement depuis les années 1990, tire une large part de son énergie de la « conscience malheureuse » de l’homme contemporain, occidental avant tout autre. L’Homo industrialis, né en Europe au XIXe siècle, est un pollueur foncier, un destructeur d’écosystèmes né. Qu’il nous suffise de regarder les illustrations datant de la première révolution industrielle, fort pittoresques, montrant, au cœur de la verte campagne anglaise, les premières unités minières disséminées dans le paysage : celles-ci crachent leur fumée ou souillent l’eau des rivières sans que l’on semble s’être inquiété de juguler la saleté qui sourd de l’exploitation du charbon. Comme si le monde naturel, d’une infinie vastitude, avait le pouvoir d’absorber tous les déchets dont l’homme moderne est le producteur zélé, dont ceux de l’industrie, bientôt dévastateurs à large échelle. Le pessimiste Günther Anders, sur ce point, avait raison, qui soutenait combien, face à la société technique, notre principale source d’inquiétude doit être la légèreté des experts, leur crasse incompétence, leur sens restreint de la responsabilité publique. Mettre en avant un principe de réparation, dans cette optique, est pour l’artiste d’une logique imparable. En condamnant de concert la gratuité. Représenter, en somme, ne suffit pas, encore faut-il, en tant qu’artiste, se faire activiste, « contre-produire » — comprendre, au regard de la perspective écologique devenue de rigueur, produire du bio contre le non-bio qu’engendre l’économie écologiquement dévastatrice de l’homme du commun. Doit prévaloir, dans cet engagement, un souci de compensation, symboliquement mais aussi de manière concrète. Thierry Boutonnier, qui se qualifie d’artiste « jardinier » et « multitâches », est de ces brasseurs de terre et de concepts pour qui le principe de la plantation tient lieu de création : il suscite, de façon participative, avec la collaboration de populations locales, la mise en place d’unités potagères ou de jardins (ainsi, il y a quelques années dans le quartier lyonnais de Mermoz). Planter, pour Boutonnier, égale créer. Le jardinage, plus qu’un loisir, est bel et bien une poétique, mais de première urgence, et visant une vraie productivité. Le point d’orgue de l’opération « Prenez racines ! », menée à Lyon durant le printemps 2013, sera de la sorte la plantation, dans un potager de quartier initié par ses soins, d’un chêne dont le gland a été collecté par un couple d’artistes anglais féru lui aussi de création écologique, Ackroyd & Harvey, à Kassel même, au pied d’un des chênes plantés en 1982 par Joseph Beuys. Cérémonie aux accents païens que celle-ci ? Peut-être, si l’on veut bien considérer que le paganisme, comme l’animisme, fait de la nature un acteur bien souvent essentiel de ses mythologies. Cérémonie, surtout, utile, useful, comme on a pris l’habitude de le dire des créations artistiques contextuelles dont la finalité est de rendre service de façon directe, selon ce que commande l’idéologie du care.

L’arbre — cette figure conjugale, à quoi l’artiste se marie volontiers, dont on conjugue plus que jamais la figure, et que l’on va représentant et plantant d’un même geste horticole et plasticien, en dendromorphes accomplis.

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Khvay Samnang, L’homme caoutchouc, Digital still from Rubber Man, 2014 Vidéo HD (canal unique) avec son, 8’31 » Courtesy de l’artiste

L’exposition

« Dendromorphies — Créer avec l’arbre » se veut un ajout aux nombreuses expositions consacrées ces dernières années, de par le monde, au thème de l’arbre, en milieu fermé comme en pleine nature. L’arbre, aujourd’hui, mobilise de manière intense le champ de l’art contemporain. Tout comme il mobilise, en objet salvateur cette fois, celui de l’écologie ou de l’architecture. Créature clé dans le dispositif du care, qu’il s’agisse du « soin » social (les parcs, la nature restaurée) ou écologique (la diminution du désastreux bilan carbone de l’humanité), l’arbre est ce recycleur naturel dont notre environnement a un besoin pressant. Un roi factuel, un roi symbolique. À dessein, « Dendromorphies — Créer avec l’arbre » choisit la diversité. Le rapport qu’y entretiennent les artistes avec l’arbre est multiple et protéiforme — à l’image en vérité de notre culture, celle de l’opinion, de la détermination personnelle, de l’expérimentation ou de la célébration privées. La malléabilité du thème de l’arbre, intense, permet cette ouverture sans la freiner ou la contenir. Tel(le) artiste privilégiera, abordant le thème de l’arbre, la notion classique de l’« arbre de vie » (Sara Conti), en y greffant au besoin les obsessions de sa propre création (Clorinde Coranotto, Iris Crey, Aurélie Gravas). Tel(le) autre, inclinant à célébrer la beauté plastique de l’arbre, son fonctionnement, sa capacité à investir notre imaginaire, en donnera des déclinaisons flatteuses (Laurent Perbos) ou riches d’inspiration symbolique (Patrick Van Caeckenbergh). Certains ont à cœur le thème de l’enracinement (Askhat Akhmedyarov, Abdul Rahman Katanani), d’autres, celui de l’omniprésence (Persijn Broersen & Margit Lukács, Thomas Lévy-Lasne) quand d’autres encore s’inscrivent dans un processus écologique de recyclage (Laurent Tixador), de multiplication (Ackroyd & Harvey) ou d’alchimie biologique (Sam Van Aken). L’arbre, pour solde de tout compte, s’érige au rang de figure de gloire. On lui attribue le pouvoir de la parole (Sean Capone), on lui dresse des sculptures totémiques (Fabrice Langlade), on déplore sa surutilisation orientée à des fins spéculatives par le capitalisme mondialisé (Khvay Samnang).

Paul Ardenne, commissaire de l’exposition
  • Opening Friday, November 25, 2016 6 PM → 9 PM
03 Le Marais Zoom in 03 Le Marais Zoom out

15, rue de Thorigny

75003 Paris

T. 01 40 29 44 28 — F. 01 40 29 44 71

www.topographiedelart.fr

Saint-Sébastien – Froissart

Opening hours

Tuesday – Saturday, 2 PM – 7 PM

Venue schedule

The artists

  • Thomas Lévy-Lasne
  • Fabrice Langlade
  • Laurent Tixador
  • Laurent Perbos
  • Patrick Van Caeckenbergh
  • Khvay Samnang
  • Ackroyd & Harvey
  • Askhat Akhmedyarov
  • Persijn Broersen & Margit Lukacs
  • Sean Capone
And 6 others…