Roger Tallon — Module 400

Exposition

Architecture, design

Roger Tallon
Module 400

Passé : 10 septembre → 8 octobre 2016

Designer, projeteur, chercheur, dessinateur d’objets, tels sont quelques mots que Roger Tallon utilisait pour se présenter. Il ne faut pas y voir une hésitation ou de la présomption, mais le mouvement d’un esprit tout entier tendu vers la découverte des formes justes déduites de l’analyse des fonctions propres aux projets sur lesquels Tallon a été amené à travailler. On peut en citer quelques-uns parmi les plus connus : le Corail, le TGV, le Météor ou le funiculaire de Montmartre. Dans toutes ces réalisations, il a su développer son concept de « design total », dans une lutte permanente contre la « designo-déficience » de l’industrie et de la société contemporaines.

Dès les années 1950, Roger Tallon a côtoyé l’avant-garde artistique. Il a collaboré par exemple avec Yves Klein, notamment pour ses projets d’architecture de l’air. De telles amitiés et collaborations ont pu donner à Tallon le goût de l’utopie, du défi et cette volonté de penser entièrement un environnement. Prendre le TGV, ce n’est pas seulement se déplacer de Paris à Lyon. C’est surtout expérimenter, deux heures durant, la dynamique qui va de la conception à la forme, en s’appropriant une structure ouverte qui permet à chacun de devenir lui aussi designer.

Le dynamisme est ainsi la caractéristique dominante du design tel que le concevait Roger Tallon. Il s’agit d’abord de donner un sens aux déplacements (ses grands projets ont été des véhicules, ou le design comme vecteur), mais surtout de bouger les frontières, de ne pas assigner de délimitation aux objets et de les envisager sous tous leurs aspects pour dépasser l’apparences des contradictions. Dans cette recherche du diffus, Tallon en est venu à dissoudre l’objet et ses fonctions en créant, par exemple, le concept de « module ». C’est une révolution qui, à l’idée masculine et brutale de fini, substitue les valeurs de la féminité, du puzzle et du collectif. Les éléments se combinent en ensembles toujours susceptibles de transformations, pour un design à vivre.

Les pièces que présente cette exposition portent la triple marque du « système Tallon » : esprit d’invention et de liberté ; inachèvement définitif ; logique des flux.

L’escalier hélicoïdal (1964), avec ses marches de pétales, restitue comme aucun autre la décomposition du mouvement tournant de l’hélice. Ses qualités aéronautiques renvoient ainsi à Marrey ou Muybridge avec une économie visuelle elliptique qui n’exclut pas la variété. Son élégante dialectique vide/plein est proche de certaines installations de Buren, par exemple.

Le Module 400 (1965) fut conçu pour l’aménagement d’une boîte de nuit. Occupant un ancien garage, le lieu devait évoquer un tronçon d’autoroute. Tallon en quadrilla le sol de dalles métalliques de 400 × 400 mm de côté. Le propos et la forme rappellent les sculptures de Carl Andre à la même époque. Selon l’affluence, certaines de ces dalles pouvaient se remplacer par des tables ou des chaises d’un piètement de même métal et de mêmes dimensions.

Jacques Lacloche s’intéresse au projet et édite les Module 400 pour des équipements collectifs. Les espaces d’accueil du siège Publicis en sont également équipés pendant des années. Les modules 400 ont figuré dans plusieurs films de l’époque dont “La piscine” de Jacques Deray. Au début des années 70, des tables hautes, des lampes “Soleil” ou encore des porte-manteaux viennent enrichir la collection.

Ce nominalisme se retrouve dans le siège Zombie (1967) sous une forme plus visuelle et figurée. Il s’agit au fond de faire asseoir le corps sur une forme elle-même corporelle. Ces drôles de fantômes en plastique jaune signalent comme un état limite du mobilier, réduit à son état purement spirituel de « protoforme », autre mot-clé du système Tallon.

L’exposition témoigne de la cohérence du travail de Roger Tallon, mais aussi de ce qu’on pourrait appeler son dédoublement. Les réalisations effectives sont inséparables d’une réflexion critique profonde sur les conditions et la nature même du design, ce qui est l’apanage des seuls grands artistes. Toujours dans cette idée de démultiplication à l’infini que l’on retrouvera dans le service 3T et les Cryptogammes.

La dernière salle de la galerie présentera quelques pièces emblématiques de Jean Prouvé. A priori, le lien entre ces deux grands créateurs n’est pas évident à établir, au-delà de l’admiration que Tallon pouvait avoir pour son aîné. Prouvé, on le sait, a marqué la première moitié du XXe siècle par sa pratique presque artisanale de l’industrie. C’était un ingénieur, que la logique de son travail a mené jusqu’à l’« idée constructive ». Quant à Roger Tallon, il incarne mieux que nul autre une nouvelle époque : il est le designer par excellence, métier qu’il invente presque seul dans la France des années 1950 et auquel il donne des caractéristiques encore d’actualité, entre la prise en compte des impératifs de l’industrie et l’affirmation d’une individualité qui le rapproche davantage des artistes que des artisans. Pourtant, entre eux deux, des passerelles fécondes existent.

La première serait leur souci commun de l’économie de moyens. Chez Prouvé, elle se manifeste par l’emploi de matériaux « pauvres », comme la tôle qu’il plie. Mais aussi par l’idée centrale que c’est la fonction qui fait la forme. Travaillant pour l’industrie, Roger Tallon concentre ses efforts sur la compacité et la sveltesse des formes. Il complète la formule de Prouvé, dans sa réponse à un questionnaire, en 1969 : « La forme ne découle pas de l’analyse d’une fonction, mais de l’analyse de toutes les fonctions », parmi lesquelles la communication joue un rôle crucial. Il accorde aux matériaux industriels (polystyrène, fonte d’aluminium, Spazmolla…) la même importance que son aîné.

L’autre passerelle concerne un ensemble d’idées qui visent toutes à la simplicité de production, mais aussi de stockage ou de transport: chaises démontables, éléments empilables, développement de modules, souplesse d’échelle des formes. Le «système Tallon» vise toujours à résoudre des problèmes autant pratiques qu’économiques et finalement esthétiques, problèmes proches de ceux que Prouvé dut affronter dans le contexte plus dramatique de la Reconstruction d’après guerre.

Ce rapprochement entre les deux créateurs a trouvé une preuve éclatante dans le projet de Roger Tallon, initié par Jousse entreprise en 2005, de sa « Maison Dôme ». Module habitable d’une extraordinaire souplesse, elle peut être produite industriellement dans l’esprit, revendiqué comme tel, de Jean Prouvé.

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