Bernard Piffaretti — Bande annonce

Exposition

Peinture

Bernard Piffaretti
Bande annonce

Passé : 7 mai → 4 juin 2011

Entrer dans une exposition de tableaux de Bernard Piffaretti, c’est d’abord appréhender une série de « situations picturales », comme le peintre les appelle, que l’observateur reconnaîtra sans mal comme celles de l’abstraction moderniste, dont les codes et les composantes se sont progressivement définies au long d’une histoire désormais séculaire. Soit un ensemble de motifs et de structures, grilles, trames, damiers, patterns répétitifs et all-over, de semis de tâches ou de menus éléments, qui déclarent la planéité et l’isomorphisme intrinsèques du support de la peinture, auxquels s’accordent la pratique prédominante de l’aplat coloré.

Expliquer ce qu’est un tableau de Bernard Piffaretti passe nécessairement par l’exposé d’une méthode, celle consistant à partager d’un trait de séparation vertical le champ de la toile vierge en deux parties égales, avant de marquer l’une des moitiés par un ensemble de signes, de gestes et de traces qui seront ensuite dupliqués sur l’autre moitié. Par quoi la duplication piffarettienne s’inscrit dans une longue histoire de « l’image dédoublée » et du tableau dans le tableau dont tous les exemples parlent de la peinture comme outil réflexif à faire voir le travail de la peinture. Tout tableau de Piffaretti est donc un méta-tableau, puisqu’il est ce dispositif en miroir dans lequel une partie reflète le scénario de la production de l’image présente dans l’autre partie, sa reprise consécutive et adjacente.
L’ensemble d’œuvres de 2011 que présente la Galerie Frank Elbaz ne déroge ni à ces caractéristiques visuelles ni à la méthode. Mais le titre sous lequel le peintre a voulu les rassembler, « bande-annonce », invite à en saisir le projet selon un récit différemment circonstancié — c’est souvent le rôle du langage chez Piffaretti. Au moment d’entamer une nouvelle collaboration avec le partenaire artistique et commercial qu’est son galeriste pour le peintre, ce dernier annonce la couleur et, à la manière de ces films brefs dont l’industrie cinématographique se sert pour la promotion de ses produits — pot-pourri des scènes les plus alléchantes et des dialogues les plus saillants —, fait défiler un échantillonnage de toutes ses inventions. Avec, par ordre d’apparition dans la chronologie piffarettienne : le tableau sous sa forme la plus fréquente, organisé en deux moitiés identiques, que l’on vient de décrire ; le tableau inachevé, dont l’une des moitiés est laissée vierge ; le tableau uniquement structuré par l’architecture de la lettre ou du mot ; le « dessin après tableau », réalisé a posteriori, d’après un tableau exécuté ; le « poncif », impression en noir et blanc de détails de tableaux grossis jusqu’au pixel ; et le tableau dit « en négatif », dernière des déclinaisons de la méthode Piffaretti, toile de format tondo qui se présente comme le détail d’un tableau qui n’existe pas.

La bande-annonce, dans le registre métapictural de Piffaretti, c’est aussi et bien sûr le marquage central et principiel de la toile, la bande qui prélude au tableau et annonce la peinture à venir. Dans le cas du tableau laissé volontairement inachevé, par impossibilité reconnue de retrouver l’ordre des gestes originels sous les strates successives de la peinture, c’est au spectateur de projeter sur l’écran de la toile vierge le film des événements qui auraient abouti à la complétude. De même, dans le cas des tableaux en négatif, le spectateur aura tendance à combler le manque en complétant virtuellement les motifs et les structures, et à rechercher l’axe de symétrie capable de réorganiser la compréhension du tableau. Dans les deux cas, la stratégie retenue est un moyen de rendre visible en creux le processus de création, et de dévoiler l’opération fondamentale dont dépend chez Piffaretti l’instauration du tableau en deux moitiés équivalentes : « mi/mi », dit quant à lui le tableau de lettres, en un énoncé bi-partite et symétrique on ne peut plus clair, qui enrichit un petit groupe d’œuvres où c’est le langage qui est chargé de thématiser la procédure du redoublement.

Filer un peu plus la métaphore cinématographique pourrait avoir comme conséquence fortuite de faire apparaître le tableau piffarettien non plus seulement comme le résultat d’une duplication, mais aussi comme celui d’un montage — un montage qui n’avance pas, cela dit, et qui n’est l’instrument d’aucune progression temporelle. A l’instar de ce qui se passe — ou ne se passe pas — dans l’œuvre de Piffaretti depuis que la répétition de sa méthode lui tient lieu de toute évolution et que le peintre s’est ainsi soustrait à l’emprise de la chronologie : Piffaretti a peut-être déjà peint ses derniers tableaux alors que les premiers ne le sont peut-être pas encore… Mais que l’œuvre soit sans chronologie n’implique pas qu’elle soit sans histoire ni que l’historicité soit sans prise sur elle. Il faut au contraire le rappeler : au beau milieu des années 1980, lorsque se fixe le protocole de la duplication, Piffaretti met au point l’une des manières les plus décisives de tenir à distance le geste et l’expression — de celles qui octroient à leur inventeur une place essentielle dans l’histoire.

Arnauld Pierre
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L’artiste

  • Bernard Piffaretti