Uncoupdedés.net — Le CAC Brétigny

Evénement

Techniques mixtes

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Le CAC Brétigny

Passé : 14 février 2013 → 19 février 2014

Comme un nuage dans le ciel

« Qu’est-ce qu’un collectif ? C’est un complexe de rapports d’affect semble nous dire Cornelius Cardew dans le conte improvisationnel The Tiger’s Mind.» Le CAC Brétigny poursuit son expérience collective guidée par les partitions du compositeur anglais après avoir dédié au musicien «visionnaire» une rétrospective en 2009 présentée depuis à travers l’Europe. Matthieu Saladin, dans un texte qu’on voudra bien lire avec sa bande son, nous explique les enjeux de cette composition sociale. Une communion que Beatrice Gibson vient de porter à l’écran et dont lui-même s’inspire dans sa révolte contre une nouvelle «lutte des classes affectives ».

Like a Cloud Hanging in the Sky? est une improvisation collective réalisée par le groupe AMM, constitué à cette époque de Cornelius Cardew, Lou Gare, Christopher Hobbs, Eddie Prévost et Keith Rowe. Elle a été enregistrée en juin 1968, un an après la parution de Sextet — The Tiger’s Mind, une composition en prose de Cardew scénarisant l’activité d’un hypothétique collectif selon deux saynètes, l’une diurne, l’autre nocturne, et dédiée à AMM. Si, par son titre, cette improvisation semble interroger la définition même de ce que représente la création collective en improvisation libre, elle n’est pas pour autant une interprétation de la partition de Cardew. À l’inverse, c’est The Tiger’s Mind qui peut être envisagée, du point de vue de la composition, comme une introspection de la création collective développée au même moment par AMM dans chacune de ses improvisations, une analyse heuristique de leur processus de création et dont l’enregistrement écouté représente un cas exemplaire.

La partition The Tiger’s Mind comprend six protagonistes : Amy, le tigre, l’arbre, le vent, le cercle et l’esprit. Dans la présentation des personnages, qui constitue l’essentiel de la partition, l’accent est explicitement mis, non sur les sons à produire, mais sur le jeu des relations à l’œuvre dans leur activité individuelle et collective. Chaque portrait s’informe au regard des autres : ils tissent ensemble le canevas de la mise en scène d’une pluralité de rapports possibles entre des individus. Chaque rôle est décrit par un ensemble de caractéristiques présentant sa singularité et ses rapports d’affects. À l’instar du vent — seulement visible et audible à travers les objets qui s’interposent à lui —, leur consistance même n’est révélée qu’en étant médiatisée par les autres corps avec lesquels ils interagissent. Ce que donne à lire chaque portrait n’est autre que la manière par laquelle l’action de chaque personnage — ou plus précisément en termes spinozistes, son conatus, c’est-à-dire l’effort par lequel « chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être 1 » — affecte celle des autres, et en retour la manière par laquelle chaque protagoniste se trouve affecté par les actions des autres. À travers ces rapports d’affects, ils peuvent aussi bien s’enrichir mutuellement, que se nuire les uns les autres, l’ensemble donnant lieu à un entremêlement dont la complexité est proportionnelle au nombre d’individus impliqués et de leurs associations possibles, mais dont la forme dépend également de la situation donnée — « ligne mélodique de la variation continue constituée par l’affect 2 ».

1 Spinoza, L’Éthique, [Trad. A. Guérinot], Paris, Ivréa, 1993, partie III, proposition 6, p. 148.

2 Gilles Deleuze, Cours de Vincennes sur Spinoza (24/01/1978)

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