Galerie Denise René, Espace Marais

L’art est d’abord affaire de choix. Au sortir de la seconde guerre mondiale, et alors que pendant cinq ans l’occupation allemande avait réduit la vie culturelle à sa version la plus convenue, tout semblait possible à une jeune galerie. Les premières expositions organisées dès juin 1945 par Denise René témoignaient de ce besoin farouche de liberté, de cette envie d’expérimenter qui, même canalisée ensuite dans les voies de l’abstraction géométrique, puis du cinétisme, est sans doute le trait le plus constant de son caractère. De Max Ernst ou Picabia à Atlan ou Lapicque, c’est ainsi, pendant ses cinq premières années d’activité, le plaisir de montrer aussi bien les maîtres oubliés (et alors méconnus) de l’avant-guerre que les nouveaux artistes qui donnent alors une nouvelle image à la déjà célèbre Ecole de Paris. Un point commun — et il est essentiel dans les virulents débats qui agitent alors le monde de l’art, tous ces artistes «  abstraits  » (même si aujourd’hui cette appellation peut logiquement être contestée pour bon nombre d’entre eux) : c’est à dire que, pour créer une esthétique nouvelle, ils refusent d’abord tout académisme qui pourrait être lié à une tradition figurative.

Ce sentiment que l’art pour exister doit inventer de nouvelles voies, Denise René va en faire son principe, l’intuition fondatrice de ses analyses. C’est pourquoi dans cet ensemble encore confus que recouvre alors le terme art abstrait où voisinent aussi bien la non-figuration d’un Manessier, d’un Estève ou d’un Bazaine que les recherches informelles de Fautrier ou de Dubuffet pour qui l’image reste toujours sous jacente elle privilégie l’abstraction formelle celle qui développant les données du cubisme entend faire du tableau un fait plastique pur, où l’émotion naît non de la narration mais trouve sa source dans la combinaison des formes et des couleurs. Cette option prise, Denise René rassemble, en un dialogue que la galerie maintiendra tout au long, artistes historiques et jeunes créateurs. Ainsi, dès les premières années fait-elle voisiner Arp et Magnelli, Sophie Taeuber et Herbin, tous pionniers de la première génération abstraite avec de jeunes artistes qu’elle révèle et impose comme Vasarely, Jacobsen, Dewasne ou Mortensen. Elle sera aussi, dans ce travail de mise en évidence des pionniers de l’abstraction, la première à réussir en 1957 ce qu’aucun musée français n’avait fait : présenter, avec l’aide des musées hollandais, l’œuvre de Mondrian qui bien qu’ayant vécu de 1919 à 1938 à Paris n’y avait jamais eu d’exposition particulière.

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De cette seconde moitié du XXème siècle, Denise René aura été bien plus que le témoin, un acteur essentiel. Sans elle une partie de l’art de ce siècle aurait mis nombre d’années supplémentaires à se faire jour. Peut être certains artistes n’auraient-ils pas trouvé sans son soutien les moyens de poursuivre leur création. On peut certes faire, après coup, l’inventaire de ce que la galerie n’a pas pris en compte, se demander pourquoi Bridget Riley ou Takis n’y ont pas trouvé place, s’étonner que l’art minimal n’ait pas été la suite logique de la ligne de pensée défendue par Denise René. Mais à côté de ces lacunes, ce qui reste admirable c’est la fidélité d’un marchand à une ligne de conduite, la capacité à résister aux effets de mode, aux flux financiers ou médiatiques qui les accompagnent. Si tout le monde convient aujourd’hui de la rigueur et de l’importance des choix effectués, ce qui est peut être le plus impressionnant, c’est la dimension morale que Denise René a su donner à un métier dont peu pensent que ce soit la qualité première.

Daniel Abadie
Galerie Denise René, Espace Marais Galerie
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22, rue Charlot

75003 Paris

T. 01 48 87 73 94

www.deniserene.com

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Du mardi au samedi de 14h à 19h

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