Aurélie Godard
2 éclats blancs toutes les 10 secondes décrit les signaux d’un phare situé sur l’île d’Ouessant, où se sont retrouvées Ann Veronica Janssens et Aurélie Godard en préalable à l’exposition. Le langage codé des signaux lumineux du phare, tout comme celui des pavillons maritimes, fournit un répertoire de formes et de couleurs pour les maquettes et les peintures d’Aurélie Godard. Cette évocation du rythme syncopé du phare renvoie également aux installations lumineuses d’Ann Veronica Janssens : des brouillards colorés et des projections qui révèlent les conditions d’une expérience sensible du réel. Les deux artistes ont séjourné à Ouessant, une île où Aurélie Godard a ses racines. Pour cette artiste, l’île constitue une ressource féconde non pas comme modèle mimétique mais comme champ d’expérimentation. Si l’île peut facilement se parcourir physiquement et s’envisager globalement (un contour caractéristique en pince de crabe), ses frontières physiques sont par définition toujours instables, soumises aux mouvements de la marée. Captivée par les questions d’espace et d’échelle, Aurélie Godard cherche à confronter différents paradigmes, en s’intéressant de près à la topologie, à l’astronomie ou encore à la physique. Coriolis est une boule en fonte d’aluminium : le titre fait référence à la force éponyme souvent illustrée par un boulet de canon dont la trajectoire est déviée par la force d’inertie. Pour échapper à cette loi, l’artiste choisit un matériau d’une densité extrême qui modifie le centre de gravité de l’objet tandis que sa surface accidentée lui impose des mouvements aléatoires. Formée à la Villa Arson de Nice puis à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Aurélie Godard se tourne principalement vers la sculpture et l’installation tout en développant une réflexion autour de la peinture. D’un voyage aux États-Unis, elle rapporte une collection de photographies de voitures qu’elle disperse de manière aléatoire sur des passe-partout de cadres. Ceux-ci sont recouverts de damiers colorés qui décomposent, comme des pixels, la couleur des carrosseries de voiture. L’application maladroite de la peinture trouble la rectitude de la grille et contraste avec la précision de l’image photographique. L’artiste détourne les codes de l’imagerie numérique moins pour déconstruire l’image et son formatage que pour réfléchir aux conditions de possibilité de la peinture dans ses contextes historique et technologique. S’interrogeant également sur le lien entre la subjectivité de l’artiste et l’œuvre, elle inventorie des taches de peinture dans des ateliers de peintres en ne conservant que le contour. Ces traces involontaires, relevant à la fois du hasard et d’une gestuelle particulière, sont classées selon leur densité et alignées pour recouvrir un pan de mur. Un faible degré de dess(e)in peut se lire comme un alphabet de signes, un langage en quête de sens. Souvent, le choix des titres fonctionne comme un complément d’objet. Leur degré de précision renforce les paradoxes, à l’instar de la série des œuvres intitulées Formes vagues, qui jouent sur l’ambiguïté des termes. Ce motif de vagues, peintes ou dessinées sur différentes surfaces (caisse de transport, boîte à cigares, surface murale), apparaît toujours dans un cercle qui l’isole du fond. Les contrastes, subtilement dosés, font osciller l’image entre abstraction et figuration. Au Quartier, il orne une caisse de transport que surplombe une maquette inspirée d’un croquis de l’architecte Carlo Mollino. La transformation de la caisse en socle, rappelle le mouvement de l’œuvre et le caractère transitoire de son exposition, ainsi que le déplacement du spectateur autour de la pièce et, plus largement, la migration des formes et des idées. Deux autres sculptures sont conçues selon ce même principe reflétant leur inscription dans un tissu de relations et d’influences. L’une, Confusion de Rennes à Tokyo en passant par Milan, mais dans un livre pour la dernière (un crochet par Ronchamp), synthétise différentes constructions existantes avec la reprise, sur le socle, d’un motif inspiré de Le Corbusier. L’autre, Painting with Oscar (pour AVJ), est l’adaptation d’un bâtiment construit par Oscar Niemeyer ; le socle est rehaussé d’un damier coloré inachevé, en réalité un zoom sur un détail du visage de l’architecte filmé par Ann Veronica Janssens en 2009. Les sculptures d’Aurélie Godard ont souvent un caractère bricolé qui leur confère un potentiel de transformation et de narration. Son fauteuil sphérique, La chaise de Lucrèce, réalisé avec du bois d’épaves (notamment un ancien canot de sauvetage anglais échoué à Ouessant en 1964) est habité par des histoires muettes qui conduisent l’imaginaire à prendre le relais sur les sensations, le regard tangue à l’idée même de s’asseoir. Les œuvres sont souvent le support de projections mentales pouvant révéler des mouvements invisibles : une sculpture en forme de tore, jetée comme une bouée à la mer, opère un voyage dans le temps vers la peinture Renaissance, des ombres portées détachées de leurs objets portent en elles les traces de travaux antérieurs et mettent en lumière le hors champ entourant l’activité de l’artiste.
Exposition en duo avec Ann Veronica Janssens et Aurélie Godard
( Extrait du Journal nº 78 édité lors de l’exposition au Quartier )
Aurélie Godard
Contemporain
Installations, peinture, sculpture, techniques mixtes
Artiste française née en 1979 à Rennes, France.
- Localisation
- Saint-Denis, France
- Thèmes
- Architecture, cartographie, conceptuel, minimalisme, objets, peinture / sculpture
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