Damien Deroubaix
Danse macabre et Terrorizer : l’œuvre de Damien Deroubaix entre tradition picturale et contemporanéité aiguë
Nations Falling
To defeat
Warheads crushing
The Earth below
Cries of hell
Burning flesh
Suffocation
No way out
Suffering
Deep in our minds
After world obliteration
in : Terrorizer. After World Obliteration, 1989
Prélude à la danse macabre
Catastrophic : soudain, au détour d’une rue du quartier bâlois de Kleinbasel, le promeneur se retrouve nez à nez avec un écriteau planté dans un jardin envahi par les mauvaises herbes. Matérialisée par une typographie freestyle — lettres noires sur morceaux de contreplaqué biseautés et reliés par des tasseaux — cette expression anglaise signifie le désastre total, le cataclysme final et irrévocable d’un système. Dans les langages quotidien et médiatique, le moindre incident est pourtant tourné en catastrophe dans le seul but d’attirer l’attention. Aussi, parmi les passants qui tournent le coin de rue entre le Claragraben et la Sperrstrasse, d’aucuns se demandent ce que le mot « catastrophique » peut bien vouloir dire dans cet endroit pittoresque en décomposition avancée : cri d’alarme dénonçant la disparition d’un élément du patrimoine architectural ou protestation désillusionnée contre la destruction inconsidérée des espaces de vie abordables dans la société post-capitaliste qui est la nôtre ? Ou s’agit-il au contraire, comme l’esthétique heavy metal des caractères semble l’indiquer, d’une publicité pour un concert-événement ? Catastrophic est en fait le nom d’un groupe de death metal américain, dont cette pancarte à forte visibilité reprend le logo.
Mais malgré ses airs contestataires, Catastrophic ne formule aucune revendication explicite, pas plus qu’elle ne saurait servir d’annonce à un concert. Il s’agit ostensiblement du prélude à un événement artistique, en l’occurrence l’exposition de l’artiste français Damien Deroubaix dans l’espace d’exposition Filiale, qui s’est temporairement installé dans cette bâtisse envahie par les broussailles. Catastrophic accueille le visiteur et, en réduisant l’exposition à une formule, le prépare à la véhémence et l’urgence effrénée qui l’attendent à l’intérieur du bâtiment en friche. En même temps, ce slogan qui introduit l’exposition n’est pas dénué d’autodérision, car enfin, qui voudrait sérieusement annoncer sa propre « entrée en scène » comme étant « catastrophique » ?
Dans l’exposition en question figure un accrochage qui, recouvrant un mur entier, se compose d’une multitude de dessins à l’encre, de grand format pour la plupart, et de feuilles adhésives en forme de bulles évoquant l’univers de la bande dessinée. L’artiste y met en scène une ronde macabre de squelettes et de poupées anatomiques plongées dans un clair-obscur noir et blanc, à cette différence près que les squelettes, accompagnés de bulles, gesticulent et semblent crier à tue-tête : Werbung, Werbung, Werbung (publicité)… La danse macabre, sujet pictural qui remonte au haut moyen âge — le fameux cycle pour le mur du cimetière de la Predigerkirche de Bâle a ainsi été créé en 1440 — connaît chez Damien Deroubaix, en 2004, une renaissance postmoderne qui prend la forme d’une sorte de collage mural trash, qui n’est pas sans rappeler les nombreuses installations réalisées à partir de dessins par l’artiste américain Raymond Pettibon.
Signifiant un memento mori, la danse macabre entend illustrer au travers d’un langage visuel fort la mortalité de l’être humain, indépendamment de ses origines et de son statut ou prestige social. Chez Damien Deroubaix, l’iconographique classique de la danse macabre croise, de manière aussi explicite que crue, l’esthétique formellement simplifiée des bandes dessinées underground, les allusions à la culture death metal, qui aime s’entourer des symboles de la mort, et enfin l’industrie omniprésente de la propagande contemporaine — à la différence près que ces dernières, plutôt que de vanter de quelconques services ou de proclamer une idéologie, se célèbrent elle-même à coups de slogans racoleurs, comme si le système du marketing global voulait s’auto-perpétuer ; voilà en tout cas ce que suggèrent les bulles, dont le contenu a été supprimé, ou la répétition lancinante du mot « Werbung ».
L’œuvre graphique de Damien Deroubaix a donc recours à différentes traditions artistiques allant de la danse macabre au dadaïsme, références qu’il relie entre elles au moyen de stratégies picturales contemporaines tout en recyclant les univers iconographiques entièrement médiatisés de notre époque, dont il révèle par ailleurs le caractère schématique […]
Damien Deroubaix
Contemporain
Peinture, sculpture, techniques mixtes
Artiste français né en 1972 à Lille, France.
- Localisation
- Berlin, Allemagne
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