David Ortsman
Le Jardinier de la Chair
« Mon Frère me propose d’échanger sa tête avec la mienne. Quand nous nous retrouvons le lendemain soir, il rentre sans ma tête. Il trouve ma tête tellement belle qu’il l’a rangée dans un coffre-fort. Je lui demande de me rendre ma tête. C’est impossible car il n’y a pas de clef. J’imagine ma tête qui va vieillir toute seule dans ce coffre-fort ».
Les microfictions de David Ortsman sont morbides et touchantes, peuplées de personnages inlassablement déchirés entre les petits fascismes ordinaires et les drames existentiels, les rêves d’omnipotence et les peurs castratrices. Inspiré par l’œuvre de Kafka, les surréalistes, l’Art Brut, Topor et les Monty Python, Ortsman questionne sans cesse la ligne de démarcation entre le Moi et l’Autre. Mais puisque « je est un autre », il lui faut constamment réintégrer ce qu’il rejette.
Son univers est fait de candeur et de sadisme, d’extrême naïveté et de cruauté. Il est habité par des fantasmagories hybrides, des corps morcelés aux couleurs acidulées, où se déroule un combat perpétuel entre la vie et la mort. Des monstres roses et poilus, munis de sexes multicéphales ou enceints de squelettes, échangent leurs organes et leurs têtes, comme si c’étaient des livres ou des disques. Certains possèdent une bouche dévorante à la place du cœur, d’autres sont assis par terre, les jambes en forme de bouée de sauvetage. La rivalité et la peur de l’abandon sont toujours contrebalancées par un écosystème dans lequel les végétaux rassemblent et rapiècent les corps morcelés. Dans cette foire aux atrocités, tout s’effondre et se reconstruit éternellement.
« En fait, j’ai une vision panthéiste où tout est vivant, lié, comme s’il n’y avait plus de frontières entre les hommes, les animaux et les plantes. C’est pour ça que je suis obligé de les couper des temps en temps ».
Nous confie ce jardiner de la chair. Il y un coté cannibale dans le travail d’Ortsman, mais comme Claude Lévi-Strauss le dit : « Nous sommes tous des cannibales. Le moyen le plus simple d’identifier autrui à soi-même, c’est encore de le manger. »
L’univers de David Ortsman évoque celui des romans de Kobo Abe, plus précisément La femme de sables qui raconte l’histoire d’un entomologiste qui tombe dans un trou, dans un village maudit. Là, il retrouve une femme qui accepte tout de lui, ses cris, ses injures, ses violences, dans l’espoir d’amadouer cet animal sauvage. Un jour, une échelle lui est tendue, mais il ne veut plus en profiter. Il a accepté ces contraintes. C’est précisément ce rite de passage à l’âge adulte, la surmontation des conflits par leur acceptation, qui caractérise le travail d’Ortsman. Comme Kobo Abe l’écrit : « Toute évasion appelle une punition : mais, surmontée l’épreuve, s’ouvre le sentier d’une joie très haute ».
David Ortsman
Contemporain
Dessin
Artiste français né en 1974 à Paris, France.
- Localisation
- Nogent sur Marne, France
- Site Internet
- www.david-ortsman.com
- Thèmes
- Corps