Edith Roux

Edith Roux, Série Minitopia, 2009 Tirage lambda — 56 × 44,8 cm — édition de 5 Courtesy Galerie Dix9
Edith Roux, Zoning, 2007 Tirage lambda — 106 × 128 cm chaque (triptyque) — édition de 5 Courtesy Galerie Dix9
Edith Roux, Euroland, 2000 Tirage lambda — 100 × 120 cm — édition de 5 Courtesy Galerie Dix9

En 1961, en pleine période d’expansion des lotissements de banlieue aux États-Unis, Lewis Mumford déplorait « l’éclatement des structures de la cité : ses limites et les murs d’enceinte ont sauté, ses organes complexes se dispersent sur toute l’étendue du paysage. » Mumford faisait remonter la naissance de la ville à la fin du néolithique, voyant dans la production des premiers récipients en pierre un prototype de l’espace urbain défini à l’origine comme un site clos. Ce modèle, déjà fortement entamé au fil des siècles, subissait d’après lui le coup de grâce avec la prolifération des suburbs dont « le maillage […] ressemble fort peu au solide réceptacle du néolithique tardif ».

On peut se demander comment l’historien de l’urbanisme aurait analysé la multiplication actuelle des Gated Communities, ces ensembles artificiels qui poussent loin des villes et dont les murs d’enceintes édifiés en quelques jours excluent plus radicalement l’Autre que ne le firent jamais les remparts les plus épais des villes fortifiées. Ironie de l’histoire, la banlieue réinvente la clôture mais dans un sens très différent, et presque inverse de celui qui animait les fondateurs des premières cités. Défini comme une « réceptacle » ou un « vase », la cité fonctionnait sur le modèle de l’inclusion. Le mur avait, certes, une fonction défensive. Mais il servait avant tout à consolider chez les habitants le sentiment d’une appartenance commune, laquelle, en même temps, leur donnait l’assurance nécessaire pour s’ouvrir et accueillir l’étranger. La civilisation naissait et se fortifait ainsi dans l’échange. Tout au contraire, le ciment qui fait tenir les Gated Communities est l’exclusion. « Walled out  » plutôt que « walled in » : le premier impératif est de tenir l’Autre à distance.

Edith Roux a voulu se frotter à ces villes fortes de l’ère technonologique, exposant dans ses photographies les paradoxes insupportables et l’absurdité des Gated Communities. D’emblée, ses images créent un trouble. Là où traditionnellement la figure du personnage qui regarde sert de relais au spectateur à l’intérieur de la composition, la silhouette de la photographe qui nous tourne le dos signifie doublement la mise à l’écart. Mise à l’écart de la photographe elle-même, qui, se voyant interdire l’accès des lotissements, ne peut en saisir qu’un petit aperçu. Et mise à distance, en retour, de notre propre regard. En même temps, par le recul qu’elle nous impose, Edith Roux ouvre un champ à notre vision. De même, son isolement a-t-il plus d’une signification. Radicalement exclue, sa figure isolée se fait simultanément le miroir de l’isolement auquel se condamnent ceux qui habitent derrière les murs, au milieu de paysages arides. Car, dans un ultime retournement, la muraille dressée contre l’extérieur finit par s’intérioriser. Quelles paraissent à moitié enfouies, ou qu’elles se dressent sur l’horizon telles des tours de surveillance, les maisons représentées par Edith Roux n’ont, de fait, ni dehors, ni dedans. Leurs fenêtres vides nous font face comme des yeux aveugles, miroirs de l’absence d’âme et d’une vie de pure surface.
Larisa Dryansky

L. Mumford, La Cité à travers l’histoire, trad. de l’américain par Guy et Gérard Durand, Paris, Éditions du Seuil, 1964 1961.

Edith Roux, Walled out, 2005 Tirage lambda — 106 × 128 cm Courtesy Galerie Dix9
Edith Roux, Walled out, 2005 Tirage lambda — 106 × 128 cm Courtesy Galerie Dix9

Edith Roux

Contemporain

Photographie

Artiste française née en 1963 à Paris. 

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Paris, France
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