Jenny Bourassin
Les flammes d’un incendie, une tornade, des plongeurs qui s’élèvent dans les airs sur fond de forêt tropicale, un renard au pelage vif jaillissant d’un paysage aux teintes fluorescentes et acides…Voici en quelques mots le répertoire iconographique de Jenny Bourassin.
Ses luxuriantes forêts tropicales sont des visions fantasmées et fantasmatiques qui n’ont jamais pour origine une image, une photographie ou un tableau précis. Le processus de création relève d’une combinatoire richement imaginative. Bourassin jongle avec habileté entre l’imagerie générique d’un vaste paysage exotique et des accumulations mentales d’impressions oniriques, de descriptions littéraires et d’atmosphères cinématographiques. Cette nature immense et sublimée constitue autant un ailleurs personnel qu’un imaginaire collectif.
Les reproductions photographiques de ces tableaux ont tendance à lisser et donc à dissimuler le traitement toujours très dense, allant parfois jusqu’à la saturation, de la surface picturale. Mais la contemplation des toiles offre une autre expérience. Difficile de distinguer si les formes et les figures surgissent du magma de taches et touches énergiques ou si elles sont en passe de s’y confondre. Le côté expressionniste et la vivacité des coups de pinceau — les coulures et les repentirs largement visibles de figures et d’animaux dissimulés dans la végétation — ne dégagent cependant rien d’oppressant ni de tourmenté. Tel un rideau végétal continu, la forêt tropicale ne se laisse pas plus traverser par la lumière que par le regard, la seule ouverture et échappatoire visuelle en est le ciel. Les paysages s’organisent systématiquement autour d’un plan d’eau, les reflets prolongeant avec cohérence l’aspect liquide de la matière picturale. Les corps semblent en apesanteur, pris dans la suspension du plongeon, leur reflet n’apparaît jamais dans l’eau. Soit leurs contours s’estompent mêlant ainsi la figure au décor, soit ils se détachent du fond par un cerne en réserve. Loin d’un délire romantico-symboliste et de toute tendance psychédélique ou néo-hippie, ces plongeurs portés par tant de couleurs vives, voire fluorescentes, intriguent et viennent amplifier le sentiment d’étrangeté provoqué par la contemplation de tels paysages. Incendie, Neige et feu mêlés, Tornade (Baby I hold them for years) appartiennent à une autre série, un autre registre. Bien qu’il soit encore question de nature, des éléments que sont le feu et le vent. Le sujet est ici donné à voir comme un détail, un véritable morceau de bravoure qui s’observerait à travers un hublot ou au gré d’une poursuite de lumière arrêtée au milieu d’une grande feuille blanche. Ici encore on est dans le domaine de la projection mentale, entre une nature-écran qui fait bloc et heurte le regard et une image qui semble être sur le point de se mettre en mouvement. À l’instar d’un dispositif théâtral, l’originalité d’un tel cadrage détermine la lecture de ces scènes en de véritables catastrophes. D’autres aspects baroques s’immiscent dans les peintures de Bourassin. Paysage hollandais revisite l’héritage diffus de la peinture flamande du 17ème siècle: un ciel et une lumière inspirés de Van Ruysdael et des perroquets, archétypes de la peinture animalière d’un Peter Boel ou Frans Snyders.