Ji-Eun Yoon
Les lents nuages font dormir
Ji-Eun Yoon a fait quatre ans d’études d’art à Séoul. Elle est maintenant en cinquième année aux Beaux-arts de Paris, et cette double formation donne à son travail un caractère très singulier. De l’art coréen, elle semble avoir retenu les aspects les plus anciens et les plus traditionnels. Des techniques de gravure, de lithographie, de pyrogravure irréprochables ; une précision remarquable. Elle a également conservé des motifs récurrents qui sont aujourd’hui presque des poncifs : la représentation de très vastes paysages dans lesquels de rares personnages paraissent minuscules.
En revanche, ce qui n’était sans doute pas programmé, c’est l’inflexion burlesque qu’elle donne à cette tradition. D’une part parce que la plupart de ses paysages sont dessinés comme des courbes géologiques : les grandioses montagnes sont donc complètement aplaties et ramenées au niveau du commun des mortels. D’autre part parce que les petits personnages qu’elle représente ici et là sont en général occupés à des taches ménagères (cuisine, vaisselle, rangement, lavage, accrochage et pliage de monceaux de linge). Ji-Eun Yoon trouve certains de ces motifs dans des magazines, mais ce sont pour la plupart des autoportraits photographiques dans lesquels elle se met en scène. Ses œuvres — dessins au crayon de couleur sur papier ou sur bois, grands formats dans lesquels elle mêle différentes techniques comme la taille sur bois, découpes, placages et dessin au crayon — sont des sortes de trompe-l’œil : il faut parfois du temps pour repérer les personnages, pour se rendre compte que tel aplat blanc n’est pas une fontaine mais un drap qui pend sur un fil invisible, ou que telle composition savamment colorée est un empilement chaotique de vêtements.
Malgré l’apparence sereine de ces tableaux, l’univers représenté est totalement incongru et surréaliste. Les personnages sont en inadéquation avec le monde qui les entoure, un peu autistes, enfermés dans un monde intérieur. Mais c’est une situation qui semble leur convenir : les choses se passent, lentement, en douceur et sans heurts. Quand ils ne sont pas seuls, ils coexistent sur la surface du tableau, par petits groupes, toujours un peu mutiques ou indifférents au reste (les traits des visages ne sont pas dessinés).
Pour réaliser ses grands panneaux, Ji-Eun Yoon suit les veines qui sont déjà inscrites dans le bois. Du coup, la plupart des lignes sont courbes, ce qui renforce cette impression d’un temps immuable où chacun « vit sa vie » sans rencontrer d’obstacles majeurs (sinon quelques méandres). La coprésence des techniques (travail sur la surface, sur le retrait ou au contraire sur l’ajout de la matière) et l’alternance de pleins et de vides donne à ces compositions une ambivalence troublante qui fait écho à la thématique : on est simultanément dans l’abstraction et dans la figuration.
Elisabeth Wetterwald, 2010, Texte publié dans le catalogue de la 55ème édition du Salon de Montrouge
Ji-Eun Yoon
Contemporain
Dessin, sculpture, techniques mixtes
Artiste sud-coréenne née en 1982 en Corée du Sud.
- Localisation
- Paris, France
- Thèmes
- Abstraction, assemblage / accumulation, fiction, humain