Marie Denis
Dresser une colonie de coccinelles vivantes pour jouer aux dominos, dessiner une carte du monde dans la buée d’un grain de raisin, ou encore tracer sur la pente d’une colline, les contours d’un terrain de foot devenu impraticable du fait de sa forte inclinaison, révèle chez Marie Denis un certain goût pour l’expérimentation extrapolée.
Pour autant, ses œuvres qui empruntent principalement aux vocabulaires de la nature et du paysage, mais également à l’univers de l’enfance ou du sport, ne relèvent pas moins d’une certaine gageure. Transformer en effet un arbre centenaire en Bonzaï en le cerclant d’un cache pot de 7 mètres de haut ou inviter le spectateur à contempler au moyen d’un miroir rotatif géant le ballet aérien que livre quotidiennement le passage des avions dans le ciel de Roissy, participe autant du défi technique que d’un désir de sublimation de notre monde. On l’aura donc compris cette production hédoniste et humoristique, loin de s’appesantir sur l’adoration béate et nostalgique du paysage ou du monde de l’enfance, œuvre autant dans le ré enchantement du quotidien que dans l’effort bâtisseur (ceci sans rien en laisser paraître). Et c’est précisément, à l’heure où la création actuelle s’exprime de plus en plus par le biais des nouvelles technologies, que Marie Denis, revendique, elle, des gestes et savoirs faires d’un autre temps.
Que ses objets soient hand-made ou non n’a pas d’importance. Ce qui se joue dans son univers c’est l’anachronisme et le télescopage des situations, cette façon qu’elle a de renouer avec l’artisanat traditionnel auquel elle insuffle un nouvel imaginaire technique et formel. Cette manière d’associer les dextérités surannées aux usages contemporains : nature morte, art floral, mais aussi bijouterie, ferronnerie, couture, osiéristerie, origami génèrent autant de sculptures, d’objets micro ou macro, qui ré exhaussent le quotidien avec une simplicité saisissante.
C’est dans cet esprit, avec une attention particulière aux qualités des lieux (l’architecture de la ville, l’artisanat local, la présence d’une maison des compagnons du devoir) que Marie Denis a conçu sa résidence et son exposition au Musée Denys Puech de Rodez. Denys-Denis (clin d’œil homonymique à Denys Puech fondateur du musée et à la prochaine exposition consacrée à Maurice Denis) est donc une exposition qui revisite de façon décalée les particularismes locaux tout en prenant au sérieux, ou en assumant, un peu plus que d’ordinaire, le sujet « sculpture » auquel sa résidence l’assujettie. Il n’est donc pas anodin que la première œuvre que l’on aperçoive en pénétrant l’exposition, soit référencée au lexique formel de l’art minimal : Une haute cimaise blanche, surface irréductible et préexistante, a été déplacée par l’artiste pour exhumer une des reliques du musée, la peinture d’un artiste local jusque là escamotée. En référence également à l’histoire de l’art, une œuvre tautologique s’impose à l’opposé. Un millier des tiges cimaises, dont on se sert pour accrocher les tableaux dans les lieux patrimoniaux, sont agencées tel un encéphalogramme pour finir par produire elles même leur propre motif. Cette installation, a priori auto-référée à la peinture prend ici le chemin de la sculpture.
Vient ensuite un corpus d’œuvres qui fonctionne comme des morceaux de paysage local. Trois buis, sont montés façon bijoux sur d’insolites dômes-silo agricoles et ajoutent un peu plus encore à l’artificialité de l’art topiaire qui orne la moindre de nos places publiques, ici celle de la cathédrale.
Et au sol la réplique d’une chimère en sucre roux assemblée morceaux par morceaux avec l’aide d’un compagnon du devoir, fonctionne tel le prolongement pixélisé de la statuaire religieuse locale. Il y a également Tribute, cet hommage à la très belle piscine postmoderne ruthénoise récemment démantelée, sur laquelle Marie Denis a prélevé une centaine de hublots plexi (les fenêtres), pour les déployer selon une composition florale hélicoïdale autour d’un axe géant. Blancs, opaques ou caramel, montés en pantone « type French Manucure » ils sont un clin d’œil au double escalier à vis de la cathédrale.
Enfin, des sculptures aux formes détournées aux télescopages intrépides forment dans l’exposition un véritable petit cabinet de curiosité. Dolorès, est une sculpture constituée de quelques 600 plumes de paon, un masque primitif qui emprunte au mimétisme animal et joue d’une double ambivalence. A l’image de la parade du paon en effet l’œuvre est aussi séduisante qu’intimidante. Ou encore cette Sansevieria géante, une plante aux feuilles cierge réalisée en cuivre par un métallier compagnon du devoir, que l’artiste ramène par un procédé d’oxydation accéléré, vers l’aspect panaché du végétal original.
Vient enfin, Abscisse un standard, une de ces œuvres que l’artiste réactive continuellement dans sa forme, sa matière et sa commodité. Ce meuble présentoir, façon porte bouteille de Marcel Duchamp orthonormé, supporte 4 projecteurs diapos qui n’ont rien d’autre à projeter que leur propre luminescence.
Avec cette exposition Marie Denis opère un virage à 180°. Se répartissant, une fois n’est pas coutume, de l’évitement, de l’instabilité et du transitoire auxquels ses œuvres nous avaient habituées, l’artiste incarne tout ce qu’il y a d’artifice et de génie en pays ruthénois, comme interroge les fondamentaux d’une certaine forme de sculpture contemporaine post pop: détournement de l’objet, télescopage des matériaux, rapports décomplexés à l’artisanat, prolongement culturel des œuvres dans leur relation au contexte de création tissent un lien captivant entre fiction et réalité.
Marie Denis
Contemporain
Sculpture
Artiste française née en 1972 à Bourg Saint-Andéol, France.
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- mariedenis.com/
- Thèmes
- Nature, objets