Michel Aubry
Dès ses premiers travaux, Michel Aubry met à profit une connaissance de la musique et de la facture instrumentale, alliée à des études à l’École des arts décoratifs de Strasbourg. Cherchant à sculpter le son, il utilise ces roseaux récoltés en Sardaigne qui ont donné naissance à une famille d’instruments de la musique traditionnelle sarde : les launeddas (le musicien souffle dans trois cannes, l’une fait fonction de bourdon, les deux autres sont mélodiques). La longueur des cannes — et donc la hauteur du son — lui permet de matérialiser des ensembles d’accords en des constructions géométriques qui se développent dans l’espace comme autant de « gammes » ou de « partitions ». Pour les construire, l’artiste utilise des matériaux comme la bakélite, le plâtre, le verre ou la cire d’abeille et des techniques aussi diverses que le dessin, la gravure, le moulage ou la marqueterie.
Ces cannes, qui apparaissent comme une mesure étalon, sont la base d’une potentielle architecture d’objets, à travers habits, pièces, installations. Une architecture faite de droites, de traits qui dessinent l’espace. Tout cela mis en musique.
Ainsi ces cannes et ces anches créent une géométrie primitive. A l’instar du Modulor de Le Corbusier qui se voulait d’une géométrie très précise et donc mathématique et unificatrice, la table de conversion de Michel Aubry étalonne le monde à partir de cannes de Sardaigne teintées de pataphysique. Comme l’écrit Jarry « la pataphysique (…) est la science de ce qui se surajoute à la métaphysique, soit en elle-même, soit hors d’elle-même, s’étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la physique ; Ex : l’épiphénomène étant souvent l’accident, la pataphysique sera surtout la science du particulier, quoi qu’on dise qu’il n’y a de science que du général.» Et si « elle étudiera les lois qui régissent les exceptions et expliquera l’univers supplémentaire à celui-ci », le travail de Michel Aubry fonctionne apparemment sur le même principe. En dessinant le monde à l’aide de l’équerre du Père Ubu, la géométrie de Michel Aubry élaborée à partir de mesures étalons construit un monde chancelant mais un monde extrêmement sérieux.
Lorsque Michel Aubry met en musique les chaises de Gerrit Rietveld, il part des dimensions précises, des cotes données par Rietveld lui-même. Passés dans le filtre de ses mesures étalons, les objets deviennent non pas des faux (parce qu’il n’y a pas ici d’idées de tromperie) mais une nouvelle génération d’objets usités par l’artiste qui ordonne un monde complètement autonome. Ainsi cette « supercherie » ne se joue donc pas dans l’objet re-pratiqué, mais se jouerait plus dans la mise en pratique de l’objet lui-même.
A partir d’éléments extrêmement précis, il se crée alors comme une supercherie pataphysique qui lui appartient en propre, à l’instar du faussaire Michel Simon dans les Disparus de Saint-Agil, qui grave de faux billets pour acheter de vraies gravures de Dürer…
Extrait du texte La pratique quotidienne par Alexandre Mare paru dans le livre Michel Aubry, Salles d’armes, édition Galerie Marion Meyer, Paris 2006.
Michel Aubry
Contemporain
Installations, sculpture
Artiste français né en 1959 à Saint-Hilaire du Harcouët , France.
- Localisation
- Paris - Nantes, France
- Site Internet
- www.michelaubry.fr/