Mick Peter
Mick Peter est un artiste glaswégien qui officie principalement dans le champ de la sculpture, mais produit aussi des dessins et des illustrations. Sa relation à l’art prend forme au travers de ses pratiques hétéroclites et de ses occupations diverses, il est un grand lecteur, blogger et écrivain…D’ailleurs, toute rencontre avec lui ou avec son travail, ou une quelconque collaboration, commence et s’achève généralement par un livre…
Caroline Soyez-Petithomme : Ces deux dernières années, tu as participé à plusieurs expositions collectives en France, tu as également réalisé plusieurs expositions personnelles : à la Galerie de Multiples (Paris) en 2008, à Zoo galerie (Nantes) en 2009 et à La Salle de Bains (Lyon) en 2010. Le titre de cette dernière exposition est tiré d’une nouvelle de Nikolas Gogol, Le Nez. Tu as de nouveau conçu une exposition à partir d’une référence littéraire. Le contenu structurel de tes sculptures — basé sur une conception de la fiction comme pure construction — résulte d’une transposition de l’absurdité et de l’étrangeté inhérentes au récit. Etant donné que cela est récurrent dans ta pratique et que cela a déjà été très bien explicité dans plusieurs textes et entretiens, j’aimerais me concentrer sur les nouveaux éléments qui ont émergé dans ton répertoire formel. The Nose n’est constitué que de deux sculptures autonomes, les autres sculptures font partie de l’espace d’exposition, ce sont des reliefs qui ornent les murs. C’est la première fois que tu intègres des figures humaines (aux traits schématiques) au lieu de créer des créatures hybrides ou anthropomorphes. Pourrais-tu m’expliquer cette évolution?
Mick Peter : Cette combinaison reflète la manière dont un livre peut utiliser la ville comme un espace schématique dans lequel le récit peut dérouler son imaginaire absurde. Dans Le Nez, Saint-Pétersbourg est simplement esquissé comme un scénario plutôt bureaucratique et impersonnel où le nez peut se déchaîner et perturber le décorum social de cet environnement que Gogol connaissait si bien. J’ai créé ces pièces murales pour fabriquer un environnement, un contexte pour les autres pièces. C’est quelque chose qui me troublait parfois dans le passé, les sculptures autonomes semblent plutôt opaques en termes d’intentions lorsqu’elles sont disposées au sol à des intervalles apparemment arbitraires (cela étant dit, il peut être intéressant de le faire à l’occasion, c’est un peu comme un jeu de références à l’histoire de la sculpture). L’utilisation de personnages permet de présenter, sous forme de silhouettes, des archétypes empruntés à la nouvelle de Gogol. Je dirais qu’elles sont en fait assez proches des choses hybrides et anthropomorphes que j’ai faites par le passé. La fonction reste la même ; elles sont là pour engendrer une tension entre les différents modes sculpturaux qui m’intéressent.
CSP : En tant que sculpteur, ta technique appartient à une conception traditionnelle du medium, tu coupes, tu tailles ou tu creuses la matière, mais au lieu d’être en bois tes sculptures sont en polystyrène. Ensuite, tu recouvres ce matériau de ciment et parfois de latex pigmenté. Cette approche est perturbée par les effets des surfaces rugueuses et faussement molles. Tu joues de ces illusions visuelles et sensorielles, d’une esthétique du « fait main » associée à une iconographie incongrue ou mystérieuse. Au travers de ce syncrétisme tu simules une sorte de pratique folk liée à un contexte culturel imaginaire.
M.P. : Cette idée de rendre une surface plus homogène en la recouvrant d’une matière qui donne à la fois l’illusion d’être dure ou qui est anti-réaliste par sa couleur éclatante, se rapporte à la sculpture abstraite que j’apprécie. Je pense notamment à Caro, qui est un peu démodé aujourd’hui (son Red Splash, par exemple). Les surfaces deviennent une distraction bienvenue dans ce que je fais ! Le ciment prend presque l’apparence d’un surface peinte avec ses bavures et ses marques. C’est aussi une manière, après tout le débitage et toutes les coupes, de stabiliser l’objet tout entier et de mettre fin au processus, généralement lorsque les objets sont « suffisamment travaillés ». Cet aspect folklorique n’est pas quelque chose dont je suis tellement conscient. Bien sûr je peux percevoir la relation qu’il y a avec le fait d’étudier, avec le plus grand sérieux, des choses bancales et mal faites, en essayant notamment de leur prêter une signification culturelle quelconque, en les mesurant et en les comparant. La construction d’un cadre comme celui-ci est quelque chose que certains artistes font parfaitement, par exemple Joanne Tatham & Tom O’Sullivan à Glasgow créent des œuvres qui intègrent une myriade d’artefacts dont l’iconographie comprend des similitudes avec le totem. C’est fascinant. Ils utilisent aussi l’illustration d’une façon différente, en demandant à quelqu’un de réaliser des dessins à partir de leurs instructions. C’est un peu comme de regarder les aquarelles des civilisations anciennes dans le National Geographic !
CSP : Ce syncrétisme, qui structure ton œuvre, provient aussi de ton intérêt pour la musique expérimentale, psychédélique et moderniste. Cette partie du processus reste généralement dissimulée ou implicite dans ton travail. Pour la première fois, tu fondes en partie une exposition sur une source musicale. The Nose est une adaptation de l’opéra de Chostakovitch qui t’ intéresse par ses mélanges de styles modernistes. Comment pourriez-vous décrire cette translation d’une expérience musicale dans le champ de la sculpture?
MP : Cela a moins à voir avec la musique, bien qu’elle soit excellente et mixe effectivement les formes et les styles de manière très intéressante. C’est plutôt la concision du libretto, comment l’histoire a dû être adaptée et condensée, et peut-être légèrement stylisée, pour la scène. Le caractère théâtral est quelque chose de curieux et d’intéressant lorsque tu essayes de créer un quelconque environnement dans une galerie. Je me suis documenté sur ces décors (ceux de l’opéra de Chostakovitch), l’adaptabilité du scénario et ses caractéristiques polyvalentes était une chose que j’avais envie d’étudier. J’ai commencé par dessiner et utiliser certains procédés du design, du papier isométrique pour décrire le volume d’une chose
CSP : Dans tes récents dessins, tu as créé un univers complètement différent, très précis en termes de représentation. Dans certains, les figures humaines ne sont pas du tout schématiques, cependant elles ne sont pas entièrement visibles. Elles sont coupées par le cadrage et non à cause de leur propre forme hybride ou fragmentaire comme le sont tes sculptures. Y a-t-il une quelconque relation ou un procédé logique entre ces représentations graphiques et sculpturales du corps ?
MP : Le cadrage est un dispositif propre à l’illustration et de la bande dessinée. C’est l’équivalent le plus proche de la coupe et de la modification lorsque tu es en train de réaliser une sculpture. D’une manière générale, l’illustration est tellement chargée de sens, c’est un territoire tellement complexe et ambigu, que cela la rend toujours plus intéressante. Les corps que tu évoques, je les vois plus comme des dessins de statues, parce qu’ils ont plutôt des couleurs homogènes et anti-réalistes (rouge dans la série en question). Mon inspiration vient en grande partie des comics underground des années 60 et 70, à cet égard, le corps est plus malléable et sujet à la transformation et à la violence. A différents niveaux, cela rejoint Le Nez. Un autre facteur qui vient également d’un livre et dont j’ai déjà parlé dans d’autres textes ou interviews, c’est la manière amusée dont Flaubert décrit dans son journal les oiseaux qui défèquent sur les statues égyptiennes!
CSP: Alors continuons à parler de choses amusantes ! Etais-tu un grand lecteur de comics à l’adolescence ou est-ce une chose à laquelle tu t’es intéressée plus tard en tant que phénomène culturel, par exemple, lorsque tu étais étudiant en art ? Est-ce que tu revendiques que les comics associent à proportions égales des stratégies structurelles et intellectuelles, de l’amusement et du plaisir, comme tu as pu le dire auparavant à propos des œuvres de Flaubert, Roussel ou Gogol ?
MP: J’ai lu pas mal de choses destinées aux adolescents quand j’étais moi-même adolescent, et notamment des comics (la littérature était un peu trop intellectuelle à mon goût quand j’étais à l’école et je me suis éloigné du royaume des classiques Penguin). Le phénomène des comics m’a surtout intéressé quand je suis devenu étudiant, lorsque le contenu, la musique et les références à l’histoire de l’art, etc. me paraissaient plus pertinentes. Le fait que les comics ne soient théoriquement pas considérés comme un art véritable est une chose que j’ai toujours trouvée pénible. Quand de bons artistes dans ce domaine réalisent des œuvres quant à leur amertume par rapport à ce manque de considération (Robert Crumb est l’un des nombreux artistes qui sont responsables de cela), cela rend la forme un peu trop adolescente.
CSP : Es-tu aussi influencé par la bande-dessinée contemporaine ?
MP : Qu’il s’agisse de la tendance légèrement misérabiliste d’une part ou de la tendance goth / super-héros d’autre part, cela ne m’inspire absolument pas. Je suppose que cela manque profondément d’imagination ou de subversion. D’un point de vue technique, c’est plein de bons dessins, mais cela s’arrête là.
CSP : Les comics des années 60 et 70 étaient culturellement subversifs, brisant les tabous politiques, sociaux et même sexuels. Ils généraient aussi à l’époque leur propre économie. Etant donné que tu produis beaucoup des formes d’art différentes, dont des sculptures, des dessins et des livres, tu fais référence aux comics comme à une forme. J’imagine que tu n’es pas dans un procédé artistique similaire à celui de Raymond Pettibon qui ne produit que des dessins dans le styles comics — qui pour certaines raisons pénétrèrent le marché de l’art et devinrent de luxueux dessins, ce qui les place aujourd’hui totalement hors du circuit de diffusion des comics —. Cette influence des comics 60’s et 70’s est-elle une forme de nostalgie ou bien un hommage, une référence respectueuse à l’âge d’or de ce moyen d’expression ?
MP : L’autoproduction à petite échelle est évidemment attirante, mais je suis moins nostalgique de cette époque que je ne suis déçu de ce que je vois maintenant (il faudrait de toute manière que je sois un peu plus âgé pour ressentir une réelle nostalgie !). Pettibon est super ; je ne le vois pas du tout comme un acteur transdisciplinaire. La tension entre les images et les mots est une forme d’inspiration et une source inextinguible de possibilités et, bien évidemment, il est facile de dessiner à partir de n’importe quel scénario démentiel qui vous passe par la tête, et avec un peu de jugeotte cela donne de bonnes choses.
CSP : À propos de ta référence aux comics, est-ce un commentaire sur l’impossibilité d’être subversif dans l’art contemporain ? Comment expliquerais-tu cette position potentiellement critique si son effet est limité par la forme et si son contenu est immédiatement intégré par l’institution ?
MP : Je suis sûr qu’il est très facile d’être subversif. Que cela produise des œuvres intéressantes ou que quelqu’un y réussisse est un autre problème. Je ne me sens pas très subversif, me préoccupant comme je le fais de questions réellement démodées concernant la sculpture et le dessin. La seule chose un peu difficile que je construis dans mon travail est sa complexité, ses motivations et ses références, ainsi que son contenu librement imaginatif. Je suppose que cela peut être perçu comme n’étant pas très serviable si tu ne trouves pas ce mécanisme attractif. J’espère cependant que certaines de ces solutions matérielles semblent relativement curieuses et originales !
CSP : As-tu déjà réalisé des affiches ou des illustrations pour des livres, journaux ou magazines — pas forcément liés à l’art, comme une collaboration underground, avec une scène musicale locale, par exemple ?
MP : Malheureusement pas vraiment, tout est lié à l’art ! Je suis cependant en train de travailler à une illustration vraiment dingue pour un enregistrement du In C de Terry Riley, qui sortira sur le label Junior Aspirin dans le courant de cette année, et ça m’excite beaucoup en ce moment.
Mick Peter
Contemporain
Collage, dessin, installations, sculpture, techniques mixtes
Artiste allemand né en 1974 à Berlin, Allemagne.
- Localisation
- Glasgow, Royaume-Uni
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