Mikaël Monchicourt
Mikaël Monchicourt, négociations
Une surface comme un faux terrain sur lequel la bataille vient de se conclure ; telle pourrait être notre premier sentiment face aux œuvres récentes de Mikaël Monchicourt. La lutte qui s’est jouée ici n’est pourtant pas à déceler dans les images sources qu’il utilise, car elles n’ont rien d’une ardeur belliqueuse. Elle se trouve dans l’expérimentation des gestes et des médiums dont ces panneaux conservent la trace. Ainsi, en deçà d’une surface lisse de résine, on discerne une accumulation de strates qui par « les connexions qui se créent ont tout l’air d’une catastrophe, c’est-à-dire d’un téléscopage, d’une turbulence inattendue des événements1 » comme le dirait Jean Baudrillard. À travers un processus souvent empirique, un équilibre s’instaure entre le contrôle et l’aléatoire. Dans Tanneurs (2020), une image issue de l’encyclopédie de Diderot a été agrandie afin de rendre plus visible le grain de la gravure originale, puis dessinée à l’encre sur une plaque d’aluminium. Sur ce fond se superposent des morceaux de feuilles d’aluminium, éclairant par endroits la composition, et des calques de rhodoïd contenant des trames numériques imprimées en jet d’encre. À l’aide de divers produits chimiques et d’eau, l’artiste vient ensuite perturber l’ensemble créant des flaques et des brisures, des vibrations de matière allant d’une légère fluctuation des lignes et des formes à leur liquéfaction totale. Notre regard est conduit à investir l’intrication de ces couches et, à travers elles, à considérer l’œuvre comme un palimpseste.
Se rapprocher de la surface c’est donc accéder à la poïesis, à ces expériences qui en s’agglomérant ont façonné un espace feuilleté. Ce dernier tend finalement à problématiser « la relation entre fond perdu de la représentation et l’écran-support2 » de l’œuvre. Ici, l’image dessinée à l’encre avec son espace perspectif propre est parasitée par des fluctuations de matières. La perspective se réduit. Il ne s’agit donc plus de plonger inconsciemment dans un espace illusionniste, mais d’interroger la zone qui simultanément nous sépare et nous relie ; ce seuil entre notre œil et l’objet observé. De plus, notre reflet projeté sur la surface brillante de ce dernier pointe précisément un entre-espace relationnel, dans l’écho de celui qui nous connecte par essence au monde sensible. On comprend alors que l’image réalisée et sa chair ne doivent plus s’analyser séparément. Au contraire, elles s’entrelacent et nous conduisent à une réflexion ontologique sur l’image. Cette série d’image s’inspire en cela de la pensée de d’Arcy Thompson qui, dans son ouvrage Formes et croissance (1917), cherche à expliquer l’évolution des formes du vivant par les forces et les contraintes physique. On pourrait dès lors considérer que la couche finale de résine qui fige les mutations chimiques expérimentées par l’artiste entretient une tension superficielle entre nous et l’œuvre. Cette tension révèle l’ambiguïté de notre rapport aux images, et par conséquent au réel.
Les diverses opérations d’altération, de transformation, de recouvrement, d’aberration visuelle ou d’excavation, fatiguent l’image voire la stérilise. Elles nous invitent à dépasser l’attrait de ses apparences préférant que l’on s’attarde sur les modalités de son apparition. Ce déplacement est à considérer en réponse à la transposition du monde analogique vers le monde numérique. Ce basculement a conféré « à l’image une identité logicienne3 » dont « le mode informationnel de traitement4 » se traduit par l’action de calculer, comme l’explique Alain Renaud. Depuis, Le bureau du statisticien (2014) jusqu’aux œuvres récentes, Mikaël Monchicourt analyse ainsi les conditions inexorablement variables d’existence de cet hypothétique réel et de ses appendices visuels. En subvertissant ses images à l’aide de diverses techniques, il investit leur « abîme spéculaire5 » et affirme leur indétermination principielle. Ce creux détruit l’illusion de leur unicité et ouvre sur la multiplicité de leurs interprétations. Cette défaite rappelle enfin la pensée magritienne sur « la trahison des images ». Ce que l’on voit n’est pas ce qu’on lit et ce que l’on pense lire n’est peut-être pas ce qu’il faut lire. Là s’explique sans doute la présence récurrente de lettres transférées sur de nombreux panneaux. D’Alphabet (2017) à Vague (2017) en passant par etc. (2017), ces lettrages ne forment pas de narration mais gravitent à la surface des œuvres comme autant d’indices de la démarche de l’artiste, car ils sont à la fois une matière, des signes, la possibilité de sons, ou encore des rythmes visuels. Par ces définitions plurielles, Mikaël Monchicourt nous invite constamment à nous méfier du visible. Il semble par-là nous indiquer que percevoir le monde c’est s’inscrire dans un jeu de négociation.
1 Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, Paris, Grasset, 1983, p.30.
2 Jean Arnaud, L’espace feuilleté dans l’art moderne et contemporain, PUF, 2014, p.23.
3 Ibid, p.13.
4 Alain Renaud, « L’image : de l’économie informationnelle à la pensée visuelle », in Réseaux, vol. 61, n°5, 1993, p.17.
5 Michel Guérin, in Jean Arnaud, L’espace feuilleté dans l’art moderne et contemporain, op. cit., p.8.
Mikaël Monchicourt
Contemporain
Collage, edition, installations, techniques mixtes
Artiste français né à Paris, France.
- Localisation
- Paris, France
- Site Internet
- https://mikaelmonchicourt.com/
- Thèmes
- Abstraction, assemblage / accumulation, conceptuel, détournement, écriture / langage, figuration, matériaux bruts, mémoire collective, peinture / sculpture, politique, quotidien, récit, symboles, texte