Morgane Tschiember
In progress. En chantier. Le chantier est d’ailleurs une bonne entrée en matière pour parler du travail de Morgane Tschiember (…). En chantier, parce que son travail a à faire avec la matière, les matériaux, leurs qualités, leurs états, ce qui leur arrive, ce qui les transforme. En chantier parce que son travail est rude, brut, voire brutal, qu’il utilise, ou va utiliser, des matières et des formes propres aux métiers du bâtiment, de la construction : béton, verre, métal, mousses isolantes, briques, murs, sols, plafonds… En chantier parce qu’elle produit une œuvre ouverte, qui cherche dans toutes les directions, pousse comme une plante ou une construction sauvage et déterminée à la fois à essayer tout, le possible et l’impossible. En chantier parce que chaque expérience d’une forme ou d’une matière en appelle une autre et que rien n’a de fin.
En chantier parce que son œuvre est à la fois forte et fragile, qu’elle conduit ses recherches, ses expériences, comme des protocoles, dans une grande rigueur, avec la détermination d’une aventurière qui ose mélanger peinture à l’huile et peinture à l’eau dans ses Rolls ; travailler des terres souples qui deviendront dures et fragiles comme la céramique des Shibari pour la ligoter comme une chair sensuelle selon des principes appris auprès d’un maître du bondage japonais ; gorger de céramique des mousses, qui vont brûler à la cuisson, faisant fondre et fusionner le moule dans la forme qu’il a fait naître ; chercher l’alliance impensable entre des états contraires de la matière. Une grande rigueur, mais alliée à l’acceptation des accidents, du hasard qui — comme en recherche fondamentale — amènent bien souvent à des découvertes impensées.
De plus en plus, il apparaît clairement que le travail de Morgane Tschiember s’organise comme un système, mais complexe, ramifié, empruntant, pour paraphraser une terminologie borgesienne, des « voies aux sentiers qui bifurquent ».
Empirique et concret, son travail s’ancre, il est vrai, dans une dimension très terre à terre, très physique, mettant au centre une sorte de corps à corps permanent avec la matière, laissant d’ailleurs volontairement visible dans ses œuvres les traces du « faire », du geste, donnant à voir à la fois le processus de production mais aussi la trace de son propre corps. Ainsi de l’empreinte de son souffle matérialisé dans ces Bubbles, où le verre soufflé vient couler dans des formes molles et hypersensuelles sur des structures de métal très architecturées. Ou des Rolls qui conservent la trace de ce mélange impossible, qui confine au combat organisé, entre l’eau et l’huile.
Mais ce rapport au monde — les mains dans le cambouis pourrait-on dire, puisque l’artiste tient toujours à faire elle même et non à déléguer le processus de production de l’œuvre — est physique jusqu’à la métaphysique, c’est un système dynamique, où le mouvement est à l’œuvre en permanence, où il est question de façon obsédante de transformation, de seuil, de passage d’un état à un autre : la matière première des Bubbles passe de l’état de sable à celui de liquide en fusion soufflé puis de verre aux formes molles et organiques ; elle redeviendra sable dans le paysage entropique de Pow(d)er. Et elle sera béton dans de nouvelles formes étranges tout juste apparues dans l’atelier de l’artiste, coulées dans des moules en carton, et bien difficiles à décrire : monumentales et effondrées à la fois, elles sont comme des corps étrangers, à la fois météorites tombées du ciel et morceaux de corps pétrifié dans une matière grise et rugueuse.
Amélie Lavin, directrice des musées de la ville de Dole Extrait du communiqué de presse de l’exposition « Taboo », Musée des Beaux-Arts de Dole, 2015
Morgane Tschiember
Contemporain
Installations, peinture, sculpture
Artiste française née en 1976 à Brest, France.
- Localisation
- Paris, France