Stéphane Guénier
Ce qui prévaut, face aux derniers dessins de Stéphane Guénier, c’est l’impression de figures en suspens, tenues, comme tendues par des fils, maintenues en fragile équilibre dans l’espace. Dénuement volontaire des traits — légers, comme par effleurement de la feuille — dépouillement des formes, économie de moyens, matériaux élémentaires : papier de récupération, stylo-bille, feutre, crayon noir ou de couleur, bombe de peinture, gomme, règle… Ustensiles modestes à usage d’écolier, achetés au rayon « articles de bureau » dans les papeteries de quartier. Apprendre à écrire ? Non. Désapprendre à dessiner.
D’abord effacer, rayer. Oublier le savoir-faire, le défaire patiemment. Le stylo-bille est démonté, ouvert. C’est avec la paille intérieure qu’il dessine parfois, inventant un glossaire de formes élémentaires, une palette primaire d’encres de couleur, alphabet primitif mais sans lettres et qui ne dise rien. Dessin muet, sans titre. (…) Revient cette constante d’une opposition partout retrouvée entre la rigueur de traits géométriques tracés à la règle et l’aventure de lignes crayonnées comme au hasard, qui s’enchevêtrent, s’embrouille, virent au gribouillis. Ou encore : d’un côté dessiner avec précision méticuleuse et savante, de l’autre recouvrir, rayer, estomper. Lutte réglée entre savoir-faire et oubli du dessin, affirmation et déni, trait et rature. (…)
Ce qui est donné à voir et littéralement spatialisé, c’est précisément le processus fragile par lequel se font et se défont (se défigurent) les formes. Il ne s’agit pas de montrer le cheminement intellectuel qui conduit à l’œuvre, comme dans l’art conceptuel — par exemple chez Sol Lewit — mais plutôt de donner au dessin un statut de procès arreté, dans tout les sens du terme : laissé en suspens définitif.
Il ne s’agit donc plus de se demander (vaste et vaine question) : qu’est-ce qu’une œuvre finie ? A partir de quel degré d’accomplissement l’artiste sent-il qu’il peut se détacher de son œuvre et la considérer comme terminée, autonome, ne lui appartenant plus « en propre » ? L’œuvre vivant comme le suggère le sens commun, de sa propre vie ? La question serait ici plutôt : à partir de quel degré de précarité une figure peut-elle être arrêtée, laissée en suspens, laissée en plan, avant qu’elle ne se stabilise en forme ? A quel point d’équilibre fragile, d’existence provisoire et discontinue le dessin peut-il être lâché, abandonné ? Comment saisir ce point de passage à peine décelable entre ce qui tient et ce qui s’effondre. L’art de la précarité relève sans doute profondément de l’abandon ; restes de squelettes et de cercueils, thème de prédilection de Stéphane Guénier.
Stéphane Guénier
Contemporain
Dessin, peinture
Artiste français né en 1970 à paris, France.
- Localisation
- France
- Thèmes
- Abstraction