Kim HaYoung
La démarche d’Ha Young cherche à transgresser les frontières culturelles, politiques et linguistiques à travers lesquelles iel évolue en mêlant voix personnelle et souvenirs collectifs. Storyteller, iel travaille la vidéo, le texte, le dessin ou encore le parfum dans des formats d’installation qui jouent de la complexité et des incompréhensions qui régissent les mondes pixelisés. Se tenant at the border (à la frontière) selon les mots de Toni Morrison, Ha Young décortique les langages des systèmes numériques en incarnant des êtres intermédiaires qui abordent les identités marginalisées, leurs histoires, leurs luttes et leurs relations. Transitant entre les médias, ses compositions fonctionnent comme des écosystèmes marqués par l’overdose d’images de l’ère numérique. Iel s’intéresse particulièrement à la question de la valeur de l’information et son importance dans la constitution du capitalisme post-digital via les données d’utilisateur·ices et autres cookies : ces traces que nous laissons derrière nous en ligne et qui constituent l’Eldorado des multinationales d’internet.
Comment est né ton intérêt pour la question de la récupération des données d’utilisateur·ices sur Internet ? Qu’est-ce qui attire particulièrement ton attention dans ce sujet ?
Quand on entre sur un site web, une fenêtre pop-up nous accueille nonchalamment avec un bouton « accepter les cookies ». Ce système participe au confort de navigation des utilisateur·ices mais permet aussi à des entreprises de récolter et d’analyser les comportements en ligne afin de dresser leur profil-type. Je m’intéresse à ces cookies, nos techno-traces interceptées par les industries digitales, qui sont les matières premières de DATA PERFUME. Le projet consiste donc à créer des parfums personnalisés à partir d’une collection de données : les cookies de chaque client.e. En créant cette marque, je m’approprie les stratégies des entreprises du web et je dévoile l’architecture invisible de l’infrastructure numérique.
Quelle place attribues-tu à l’odorat dans ton œuvre ? Quels sont les enjeux d’une œuvre sensorielle ?
Dans mon travail, il y a souvent l’idée de jouer avec la traduction. D’une langue à l’autre, d’un médium à l’autre et enfin d’un espace à l’autre. Avec DATA PERFUME, j’essaye de traduire des données en parfum dans l’espace physique. L’odeur chez les humain.es est souvent liée soit à une représentation archétypale, dans les cas des parfums des marques, soit à la mémoire comme dans l’expression « madeleine de Proust »». Avec ce projet, il ne s’agit pas de sentir bon ou de se souvenir de notre grand-mère mais d’imaginer nos cheminements et nos comportements dans le monde digital, au-delà de nos clicks et nos scrolls.
L’installation DATA PERFUME emprunte à l’esthétique des popup stores. Quel est le lien entre la problématique abordée dans ton œuvre et ce mode de présentation ?
Dans l’installation, j’emprunte la disposition d’un pop-up store, qui représente une esthétique consumériste. Comme des cookies, les espaces commerciaux sont là, invasifs, dans notre quotidien et façonnent jusqu’à notre notion d’identité : They know everything about you, except who you are.1 En transformant des fenêtres des cookies sur le web en magasin du parfum temporaire en trois dimensions, j’essaye de recréer l’idée de junkspace dans l’exposition. Cet espace glossy est prêt à accueillir les visiteur·euses, notamment avec la vidéo de publicité, les flacons dans les boîtes et enfin les parfums des testeur·euses diffusés dans l’espace : What would you smell like on the internet ?2
1 Iels connaissent tout sur vous, sauf qui vous êtes. Rem Koolhaas, Junkspace (2001).
2 Quelle serait votre odeur sur internet ?
La Ferme du Buisson, texte et entretien publiés à l’occasion de l’exposition Les Sillons
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