Nesrine Salem
Nesrine Salem s’intéresse aux procédés d’hypervisibilisation de l’être diasporique. Elle utilise des méthodes de captation d’images post-digitales telles que des caméras 360 pour rassembler ce qu’elle nomme des « vidéos-rapportées ». Elle met en avant un ailleurs commun, son étrangeté comme sa familiarité, en connectant des espaces en apparence sans aucun lien. Ses méthodes de réalisation viennent tantôt brouiller, tantôt expliciter la géographie des lieux qu’elle filme : en ce sens, sa pratique emprunte aux recherches d’Arun Farocki sur la question de l’oeil machine et des dispositifs de surveillance contemporains. Plus récemment, elle développe une pratique d’écriture poétique qui marque l’apparition de personnages humains dans son travail et aborde la question du langage et de la voix. Elle travaille la forme du monologue pour parler d’expérience diasporique, de traumatisme intergénérationnel, de tokénisme et de pratiques mémorielles.
Qu’est-ce qui t’attire dans le motif de la flaque de pétrole ?
La flaque de pétrole me suit depuis plusieurs années déjà. J’ai d’abord utilisé l’huile de vidange usagée, qui reproduit des effets similaires, en construisant des réceptacles destinés à accueillir directement des projections. Le cadre était beaucoup trop présent et je me suis donc tournée vers la flaque. La flaque m’intéresse, car on ne peut pas la contrôler, sa forme est aléatoire, cependant son odeur est violemment présente, et ses capacités réflectrices, toujours intéressantes. Je me suis rendue compte que le pétrole était aussi la chose qui quittait le sol algérien le plus facilement, le déplacement des citoyen.nes algérien.nes est compliqué, par exemple, il est impossible de réussir à avoir un visa pour que ma grand-mère puisse nous rendre visite en France. Cette flaque me représente du coup, j’ai eu le privilège aléatoire d’atterrir ici.
Quelle place occupe le texte et la poésie dans ton travail artistique ?
J’ai découvert la poésie en quittant les beaux-arts. Pendant mes études, pour me protéger, j’ai choisi d’aborder les questionnements sur mon corps diasporique en utilisant des procédés qui me permettaient de m’effacer. J’ai ensuite ressenti le besoin de m’exprimer clairement. La poésie est devenue l’élément premier qui façonne ma pratique de vidéo, dans What is the residue left from setting a black puddle on fire ?, elle me permet de toucher des sujets très précis, m’adresser directement à des personnes, mais aussi inclure les spectateur.rices dans mon intimité.
Pourrais-tu nous parler de ta première direction d’acteur·ice ?
Ce premier partage de ma poésie dans ma pratique artistique a débuté par un premier échange avec mon actrice principale Chaima Boumaaz. Il était important pour moi de choisir quelqu’une qui puisse se retrouver dans mes questionnements, et naturellement, nous avons partagé toutes les deux ce qui nous reliait à ce scénario : nos expériences d’êtres diasporiques. Chaque scène est un monologue, ce qui ne laissait donc pas de place à Chaima pour l’écart, et nous a valu de longues semaines de répétitions. Cette première direction m’a donné envie de me concentrer sur l’écriture pour des acteur.ices, probablement prochainement dans le cadre de performances.
La Ferme du Buisson, texte et entretien publiés à l’occasion de l’exposition Les Sillons
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