Berger&Berger — Par la contrainte, 2012
Exhibition
Berger&Berger
Par la contrainte, 2012
Past: December 1, 2012 → January 5, 2013
Nés sous une bonne étoile, Cyrille et Laurent P. Berger ont attendu la Fin du Monde (du moins selon ce que certains prêtent au calendrier maya) pour s’exposer à la Galerie Torri — attracteur étrange formé d’un petit trou noir dans un cube blanc. Tu n’auras donc, lecteur, peut-être que quelques jours pour lire leur message venu des confins de l’Espace…
Dans l’exposition Par la contrainte, tout est affaire de masse, d’énergie et de lumière — et donc de leurs conversions mutuelles dans des conditions thermodynamiques qu’on postulera pseudo-galiléennes. Pourtant, rien n’est moins sûr : peut-être que la matérialité imaginaire de l’Étoile des Berger est soumise à d’autres échelles de temps et d’espace.
D’ailleurs, est-ce bien d’un ici et d’un maintenant dont il s’agit ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un lointain contemporain ou d’un ici antédiluvien ? Et si c’est le cas, le premier dialoguerait-il avec le second ? Selon quel temps « historique » et quel espace « géographique » ? C’est décidément un postulat bien anthropocentrique que de prendre l’œil humain et le sol terrestre comme référents auxquels mesurer l’Ailleurs !
Plutôt qu’à un art à l’état gazeux ou en plasma ionique, il semblerait que la géo-logie de l’Étoile des Berger ait quelque chose à « voir » avec la tectonique, le tellurique et, pour tout dire, le magmatique. Vertigineux, son système cosmologique des objets fonctionne pour nous comme, mentalement, un condensateur provenant de la première yocto-seconde (10-24 s) après le Big Bang, ce moment où des zetta-tonnes de matière (1021 t) en fusion dans quelques zepto centimètres cube (10-21 cm3) se seront exprimées dans ce « çà a été », éther que nous voyons maintenant dilué à des yotta-kilomètres de nous (1024 km).
Sur notre bonne vieille Terre, cette lumière éclaire certains agencements atomiques — une souche d’arbre engloutie, un plissement de roche, un spectateur traversé d’invisibles bosons par milliards, une encaustique ou n’importe quoi d’autre… Mais sur l’Étoile des Berger ces voyages immobiles en viennent toujours un peu au nombril du monde, à un omphalos qu’il convient de forer, creuser, carotter, piocher, fonder, décomposer, diffracter, éclairer, brûler, incinérer, fondre, reconstituer. De quel Argile divin, de quel Schiste cosmique venons-nous ? Mystère… S’enclenche alors un art pauvre inattendu : une time capsule, temporairement logée à la galerie Torri, et où s’exprime le récit physico-chimique de tous les temps et de tous les espaces possibles. Autrement dit, mille milliards de poèmes…
Formant fugacement cinq « chaînons manquants », le continuum de cet univers inframince est ainsi composé d’autant d’artificialia et de naturalia. Dans sa matérialité brute, la première pièce de ce musée imaginaire interpelle : pour que The Beam (2012) barre l’espace d’une droite rigide (qui, comme on sait, est un cercle de rayon infini), il aura fallu que sa ligne d’horizon compense la gravité terrestre et trouve l’angle α permettant de l’annuler. Les quatre autres items sont du même bois. Sans doute la colonie en cire d’abeille des Ouvrières (2012) — mais quand l’ont-elles désertée et, surtout, pourquoi ? — s’était-elle implantée sous la Mer de la Tranquillité de l’imparfait planétoïde de l’Astre blanc (2011) ? Mais alors, à quoi aurait correspondu le Mystère 04.96.79.01 / 79.24.15.00 (2012) ? À la spectrographie de masse de son sol qui, naguère, avait donné la vie ? À cette lave éteinte qui, il y a trois cent quatre vingt millions d’années, aura plissé le magma de sulfure de Sans titre (Pyrite) (2012) ? Comme sur Mars, un noyau métallique y aurait-il généré un bouclier magnétique à l’abri du vent solaire ? Peu importe : de cette imagerie purement mentale, aucun Hubble ni aucun rover ne ramènera de certitudes…
Le temps d’une brève visite dans un cube blanc en forme de trou noir de l’esprit, nos repères se seront brouillés — le temps d’un clignement d’œil ou, sinon, tout aussi bien, durant une durée infinie. Nous voici revenus ici et maintenant. Vous pouvez vous réveiller. Sous et par la contrainte, il existe, sur l’Étoile des Berger, un vertigineux romantisme mental et une géomancie proprement inhumaine — bref, une poétique de l’Espace induite par un solénoïde intellectuel ou oscillant sur un rhéostat sensoriel.
Comme la Solaris de Tarkovski, l’Étoile des Berger génère un voyage intérieur — fantastique mais immobile — de tous « nos » confins : physiques, chimiques, psychologiques et existentiels. À l’instar des earthworks de Brian Aldiss ou de Robert Silverberg, ses forages crétacés sont synaptiques, ses carottages reptiliens ceux de plissements rocheux sans âge, son état d’apesanteur la gravité d’une cire éternellement fondante et ses spectres d’harmonies colorées un crudité de lumière-fossile. S’agit-il d’un Univers plastique en expansion ou de la fin d’un Monde malléable recroquevillé ? Plaise au voyageur d’en statuer…
Nikola Jankovic
Opening hours
Tuesday – Saturday, 11 AM – 7 PM
The artists
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Berger & Berger