Camila Oliveira Fairclough — Venez come vous êtes

Exhibition

Painting, mixed media

Camila Oliveira Fairclough
Venez come vous êtes

Past: January 26 → March 13, 2021

Camila oliveira fairclough exposition galerie laurent godin paris 11 1 grid Camila Oliveira Fairclough — Galerie Laurent Godin, Paris Chez Camila Oliveira Fairclough, la simplicité s’assume et se dérobe, à l’image de ce titre d’exposition à la galerie Laurent Godin, Venez comme vous êtes, qui loin du cynisme commercial d’un slogan de fast-food, résonne comme la promesse de considération des autres pour ce qu’ils sont, des êtres à part entière à qui il est exigé de rencontrer tous ces autres que sont les tableaux et, plus fondamentalement, la peinture.

Frank Ocean semble être un chanteur particulièrement apprécié de cette catégorie de fans qui transforment la moindre phrase de leur idole en citation. Le genre de citation qu’on retrouve ensuite sur google image, dans une esthétique de fond d’écran. L’une d’elles dit : « when you’re happy, you enjoy the music, but when you’re sad, you understand the lyrics ». On pourrait appliquer cette maxime au travail de Camila Oliveira Fairclough, en traduisant music par « peinture » — et lyrics par « mots ». Et ainsi comparer l’impact de ses tableaux à l’effet produit par les chansons.

Comme les propos de Frank Ocean, les œuvres de Camila O.F provoquent de grands élans d’appropriation. Avant même de voir ses tableaux dans des expositions, on peut déjà observer ce phénomène dans les réactions pleines d’emojis que suscitent ses posts instagram. Les emojis n’ont pas remplacé nos émotions, mais les mots qui servaient à les exprimer. Ce retrait du langage au profit d’un mode d’expression plus direct et enfantin (ou infantile) est particulièrement intéressant dans le cas d’une artiste qui semble accorder aux mots et aux images une valeur assez semblable. Pour apprendre à lire les tableaux de Camila O.F, on pourrait donc ajouter aux lettres de l’alphabet les images qu’elle utilise — comme à nos commentaires sur internet s’ajoutent des sourires, des flammes, des cœurs ou des applaudissements (sans oublier leurs équivalents négatifs).

On peut aimer ou détester une peinture au premier regard ; on peut aussi la comprendre plus profondément. Si les peintures de Camila Oliveira Fairclough étaient des personnes, elles nous paraitraient d’abord un peu familières dans leur manière de nous adresser la parole.

On pourrait avoir envie de mettre une légère distance entre elles et nous, histoire de signifier qu’on ne se connaît pas encore assez. Mais il faudrait laisser encore un peu de temps à ces tableaux, car Camila O.F ne paraît pas juger ses propres œuvres avec des critères conventionnels, des critères esthétiques qui permettraient de séparer les bonnes peintures des mauvaises, mais plutôt avec l’attitude de quelqu’un qui essaierait d’accepter les gens comme ils sont. Le domaine de la littéralité s’étend ainsi jusqu’à la critique du jugement de valeur : une exposition est une réunion de tableaux qui ont été faits et qui sont comme ils sont. Ou comme le dit le slogan français de McDonald’s (et la chanson de Nirvana) — qui sont venus comme ils sont.

Sous le panneau d’entrée de la ville d’Aberdeen (aux Etats-Unis), lieu de naissance de Kurt Cobain, est inscrite la phrase « come as you are ». Il s’agit d’un hommage à la chanson éponyme du groupe Nirvana écrite par Cobain. Depuis quelques années donc, cette phrase, traduite littéralement en français par « venez comme vous êtes », est également le slogan des restaurants McDonald’s en France. Entre les mots de la chanson, son interprétation comme message de bienvenue, puis sa réduction à un concept publicitaire, que s’est il passé ?

Les mots sont des mercenaires et ils n’ont aucun honneur. J’ai récemment découvert qu’il existait à Paris un magasin de vêtements pour jeunes hommes de bonne famille mais relativement branchés quand même (je ne sais pas si cette catégorie sociale existe mais vous voyez ce que je veux dire), dont le nom paraît une provocation pour tous ceux à qui la marque ne s’adresse pas : Commune de Paris 1871. Dans le même ordre d’idée, je me souviens d’une discussion avec le fils de ma galeriste qui avait six ans à l’époque : il ne comprenait pas, quand je disais louer mon atelier et mon appartement, que ça soit moi qui donne de l’argent au propriétaire. J’ai alors réalisé que le verbe « louer » n’avait pas le même sens selon qu’on se situe du coté de celui qui donne l’argent ou de celui qui le reçoit.

Parfois les mots sont si insensés qu’une même phrase peut signifier deux choses contraires. En fait, le sens va simplement au plus offrant, qui enlève ainsi la signification. Si C.O.F utilise souvent le langage dans ses œuvres, c’est parce qu’il nous emporte dans cette zone charnière située entre l’image et la peinture, la signification et le non-sens. Comme le peintre Walter Swennen l’explique dans un entretien, un mot écrit sur un tableau tend à perdre son sens, à se vider de sa substance, pour devenir un élément pictural à part entière. C’est le même processus qui a lieu dans la chanson, entre musique et paroles : les mots accèdent à une autonomie qui les rend en quelque sorte libres de droits. Difficiles à interpréter, faciles à s’approprier.

Car le tableau est un objet qui appartient à tout le monde. On le trouve dans les musées, les foires et les galeries, mais on le trouve aussi au restaurant ou chez le coiffeur. Ce qui est pratique avec le tableau, disait Olivier Mosset, c’est qu’on n’a pas besoin de dire que c’est de l’art. Avant tout jugement de valeur, une toile tendue sur un châssis est de l’art, car c’est à cet effet que cet objet à été inventé (le tableau est un ready-made, au même titre que les sachets de sucre, serviettes ou emballages de sandwichs que Camila envoie directement chez l’encadreur). Alors peut-être que le tableau est un objet vieillot, commercial et conventionnel, mais peut-être aussi que cette convention est le lien partagé par tous qui lui permet de ne pas se placer d’emblée au dessus de son spectateur.

Il y a quelque chose de populaire (au sens des chansons qui passent à la radio) dans la peinture de Camila O.F. Quelque chose de la chanson d’amour, ce genre éculé qui nous parle seulement quand nous traversons des périodes de déboires sentimentaux. La magie de la chanson vient peut-être de sa capacité à ranimer les lieux communs, et parfois à nous rappeler que nous sommes en vie. Comme le dit Frank Ocean, quand nous sommes heureux, nous apprécions la musique, mais quand nous sommes tristes, nous comprenons les paroles, et nous pouvons avoir le sentiment qu’une chanson raconte notre histoire — qu’elle a été écrite pour nous. Alors regardez bien. Certaines peintures de Camila Oliveira Fairclough ont été peintes pour moi. D’autres ont été peintes pour vous. Vous découvrirez bientôt lesquelles.

Hugo Pernet, décembre 2020

Née en 1979 à Rio de Janeiro au Brésil, Camila Oliveira Fairclough vit et travaille à Paris. Son travail a récemment fait l’objet d’une exposition personnelle à l’ESAD à Amiens (2020) et elle a participé à l’exposition collective Points de Rencontres au Centre Pompidou à Paris (2019). À l’occasion de cette dernière, un catalogue a été publié sous la direction de Frédéric Paul. Elle a notamment exposé au FRAC Pays de la Loire (2020), au FRAC Nouvelle Aquitaine (2020), au Musée d’art de la province de Hainaut en Belgique (2020), au FRAC Normandie-Rouen (2018), au Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean au Luxembourg, au CREDAC (2019), au MuCEM (2017) et au FRAC Ile de France (2016). Son travail est présent dans les collections du Centre Pompidou, du CNAP, ainsi que dans celles de plusieurs FRAC : Ile de France, Bretagne, Alsace, Normandie-Rouen.

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