Daniel Otero Torres — Summertime

Exposition

Dessin

Daniel Otero Torres
Summertime

Passé : 22 mars → 8 mai 2014

Pour sa première exposition personnelle à la galerie Marine Veilleux, Daniel Otero Torres propose un corpus de dessins jouant sur les échelles, les écarts et l’éclatement. Summertime illustre et dessine l’exotisme suranné d’une imagerie estivale que l’artiste revisite en un portrait offensif, ironique et dissonant. Entre Caractères de La Bruyère et archétypes d’aujourd’hui, Daniel Otero Torres donne corps au rire bergsonien de la sanction. Son trait incisif et précis révèle, à travers jeux de massacre, mascarades et scènes ethnographiques, l’envers d’un décorum où affleure l’ambiguité du rapport à l’autre, à l’étrange. Lacunaires et diffractées, ses œuvres instillent le trouble et insistent sur les limites du réalisme, qui se retourne comme un gant et tombe comme un masque.

Summertime, « and the livin’ is easy Fish are jumpin’ and the cotton is high Your daddy’s rich and your ma is good lookin’. »

Tout est beau. L’Été chante. Indolent, insouciant, à l’abri, vous ne réalisez pas qu’Ella se fait plus amère. La joie de vivre de vos vacances, rêvées sur brochures en papier glacé, se fissure, se heurte à l’irréel de l’authentique. La couleur locale n’est plus que folklore. L’altérité semble ne plus être si plaisante, si inoffensive. L’exotisme est un désir et un imaginaire de l’Autre mais sans l’angoisse qui l’accompagne. Une sorte de phénomène transitionnel non traumatisant pour le voyageur.

L’angoisse affleure dans les dessins de Daniel Otero Torres, discrètement d’abord, puis, de plus en plus. La séduction des traits, la minutie des détails et le réalisme des textures accompagnent peu à peu le touriste que nous sommes, vers l’étrangeté, l’inconfort, le malaise. L’exotisme évoqué ici est transformé, ironique, maltraité et parfois, déjà mort. Ses perroquets et toucans, contraints dans les bras d’enfants tortionnaires, se multiplient comme pour échapper en vain à la reproduction de cette même image. Des manques apparaissent dans leurs plumages : blessures de la domination enfantine ou failles visibles du processus de reproduction de l’imaginaire exotique ? Le joug de la main de l’enfant sur cette faune apparaît comme l’avatar du groupe dominant qui définit ce qui est exotique : ce qui est au dehors. Privées de spatialisation et de contexte, les œuvres de Daniel Otero Torres représentent autant la construction de l’imaginaire que celle de l’image elle-même et révèlent, paradoxalement, les rapports complexes de domination.

Daniel otero torres perroquet galeriemarineveilleux medium
Daniel Otero Torres, Sans titre (perroquet), 2014 Crayon sur papier — 80 × 120 cm — Pièce unique Courtesy de l’artiste & de la galerie Marine Veilleux

Les relations de pouvoir ne sont pas unidirectionnelles — d’oppresseur à oppressé — et s’inscrivent dans un réseau et un rapport à l’image complexe. Personne ne détient le pouvoir panoptique du regardeur sans la réciproque d’être regardé. La danseuse de carnaval, écrasée par l’imposante stature du Maire de Toronto, Rob Ford, devenu icône populaire de tous les excès, reste maîtresse de l’image. À l’exotisme dominant répond l’auto-exotisation ironique des visités. Souriez, un indien vous filme. Le renversement de la proposition — le regardeur devient regardé — renvoie aux topoï de l’exotisme présents dans notre propre société. Les rapports tribaux sont transposés et, au-delà du consumérisme, la consommation et les rituels que nous choisissons — soufflette amoureuse ou port de la cravate comme masque professionnel — déterminent notre ethnicité. Daniel Otero Torres mélange les mondes pour déstabiliser les frontières et s’élever contre le binarisme Nord-Sud. De la même façon et même si elles réapparaissent parfois dans son travail, Daniel s’affranchit des problématiques colombiennes — nation qui se reconnaît pluriethnique et multiculturelle depuis 1991 mais où la célébration du métissage coexiste avec la discrimination et les rapports de classes.

L’animal, considéré comme ethniquement et socialement inférieur, est dominé, contraint et maltraité par l’homme ; seul un chien, qui maltraite à son tour un fauteuil, nous fait face les babines retroussées : il nous sourit. Tenn — le chien de Vendredi ou les limbes du Pacifique — sourit lui aussi. En revanche, Robinson, à force d’isolement, n’en est plus capable. L’animal se fait le reflet de notre humanité et de nos psychoses tel Aguirre hystérique face aux singes. Les mécanismes de mises à distance de l’Autre animal et de l’Autre humain sont les mêmes. Dès que nous tentons de définir un exotisme comme lorsque nous nous situons dans l’ordre des vivants, nous nous exceptons spontanément de l’exô en question, comme de toute animalité. Daniel Otero Torres révèle le caractère intenable de cette posture d’observateur extérieur et suggère une altérité véritable qui n’existerait que dans la prise de conscience de cette Autre que nous sommes.

Né en 1985 à Bogota (Colombie) et diplômé de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Lyon — Prix de Paris 2010, Daniel Otero Torres vit et travaille à Paris. Son travail a récemment été présenté au Centre d’Art Contemporain d’Istres dans le cadre de l’exposition Animal Paradise, ainsi qu’à Athènes et Berlin sous le commissariat de Rebecca Lamarche-Vadel. Il a également été montré au 56ème Salon de Montrouge ainsi qu’au Creux de l’Enfer à Thiers à l’occasion de la 12ème édition des Enfants du sabbat en 2011.

Etienne Gatti
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