Gordon Matta-Clark
Exposition
Gordon Matta-Clark
Passé : 9 décembre 2016 → 19 janvier 2017
« Mon activité prend la forme d’un geste théâtral qui divise l’espace et la structure »
Gordon Matta-Clark
———
La Galerie Marian Goodman présente la première exposition d’envergure de Gordon Matta-Clark en France depuis plusieurs années. Un ensemble exceptionnel de photographies, de collages photographiques, de dessins et de films attestent de l’étendue et de la richesse de l’œuvre de l’une des figures mythiques de l’avant-garde des années 1970.
La formation d’architecte de Gordon Matta-Clark (1943-1978) a une influence cruciale sur son travail et c’est dès la fin des années 1960 qu’il défie les conventions de sa discipline en examinant la relation que celle-ci entretient avec la sculpture. Il conçoit alors ses premières performances architecturales à l’intérieur d’un espace, avant d’élargir sa pratique et sa réflexion sur la « structure » pour considérer chaque lieu comme un objet. Ses découpes de bâtiments lui permettent ainsi de repenser la notion d’espace, la fonction de l’artiste opérant dans la sphère publique et in fine de créer des œuvres éphémères sans construire ni ajouter quelconque élément.
« J’ai l’impression que mon travail est intimement lié à la performance en tant que forme théâtrale dont font partie à la fois mon activité artistique et les changements apportés à la structure du bâtiment. J’ajoute aussi une interprétation libre du mouvement comme geste –geste métaphorique, sculptural et social — à ma conception du théâtre face à un public contingent : c’est une action en cours pour les passants, tout comme le chantier tient lieu de scène pour les piétons pressés qui y circulent. »1
Cette vision unique et conceptuelle s’est infusée et transposée dans son travail photographique, ses films ainsi que ses dessins. Les cut drawings obtenus en découpant des formes géométriques dans du carton ou plusieurs épaisseurs de papier sont souvent, à l’image de A W-Hole House (Four Corners), des études pour ses projets architecturaux. Moins connue est sa pratique régulière du dessin qui pourtant l’accompagne tout au long de sa courte et prolifique carrière. Matta-Clark laisse de nombreux carnets de dessins qui seront dévoilés seulement après sa disparition. Chacun d’entre eux est exécuté rapidement et dédié à un motif spécifique, la spontanéité du trait évoque l’approche du dessin des Surréalistes et le mouvement continuel tisse un lien avec le domaine de la danse. Montrés pour la première fois en France, les carnets Arrows (notebook), Energy Forms (notebook) et Energy Rooms (notebook) enregistrent respectivement des directions, des flux d’énergies et des circulations dans un espace donné.
A Paris, ville à laquelle il était intimement lié et où il a ponctuellement résidé, Matta-Clark réalise deux grands projets qui tiennent une place centrale dans l’exposition.
Sculpture négative, Conical Intersect est exécutée rue Beaubourg en septembre 1975 pour la Biennale de Paris sur deux immeubles mitoyens du XVIIe siècle condamnés à la démolition au moment-même de la construction du Centre Pompidou et de la refonte du quartier des Halles. Pendant plusieurs semaines et sous les regards médusés des Parisiens Matta-Clark et son équipe découpent dans la façade nord du bâtiment un oculus de quatre mètres de diamètre devenant la base d’un cône évidé à l’intérieur de la structure. De cette intervention « son et lumière » subsistent un film éponyme et de multiples photographies, montages et collages photo, dont nous montrons une sélection à la galerie.
En 1977, Sous-sols de Paris témoigne du déplacement de l’attention de Matta-Clark vers les fondations et lieux souterrains qui, selon lui, captent le plus l’imaginaire collectif. Six tirages photographiques rarement exposés et réunis pour l’exposition sont les récits visuels des strates archéologiques et architecturales de plusieurs sites de la capitale. Le film 16 mm est une visite guidée « sous terre » en compagnie de l’artiste, au cours de laquelle sont contés l’histoire et les légendes de lieux enfouis et parfois oubliés tels que la crypte de Notre-Dame, les catacombes de Denfert-Rochereau, les sous-sols de l’Opéra Garnier ou encore la crypte du Couvent des Carmélites de la rue Saint-Jacques.
New York, ville natale de Matta-Clark, a été son principal terrain d’expérimentation et d’inspiration. Il figure parmi les premiers artistes de sa génération à s’intéresser à la culture et à l’environnement urbains et lors d’incursions dans le quartier du Bronx, il photographie des pans de murs portant les marques de l’agencement des pièces et de la décoration intérieure (Walls, 1972). Le graffiti, expression émergente et subversive au début des années 1970 est également un sujet qu’il saisit et expose à travers des tirages photo noir et blanc ou bien recolorisés par ses soins. Figurant un métro aux wagons recouverts de tags, Graffiti photoglyph (1973) est un montage photographique de près de neuf mètres de long coloré au spray.
Deux films tournés à New York complètent la sélection des œuvres de l’exposition. Day’s End (1975) documente la création d’un « sun-and-water temple », une des œuvres les plus ambitieuses et majestueuses de Matta-Clark. Il intervient sur un vestige de l’architecture industrielle du XIXe construit au bord de la rivière Hudson à l’ouest de Manhattan en perforant le sol, la tôle ondulée et l’acier pour y faire pénétrer et circuler la lumière du soleil. Un peu à part dans sa filmographie, City Slivers (1976) est un film esthétique et expérimental où l’on entrevoit, comme au travers d’un trou de serrure, des images fragmentées de ville en mouvement.
Gordon Matta-Clark est né en 1943, il est le fils de l’artiste surréaliste chilien Roberto Matta. Après une année en littérature française à La Sorbonne, il étudie l’architecture dans la très prestigieuse Cornell University et commence sa carrière d’artiste au début des années 1970. Avec plusieurs artistes il ouvre dans le quartier de SoHo un espace d’art alternatif au 112 Greene Street ainsi que le restaurant associatif Food. Il réalise également de nombreux projets en Europe, notamment à Paris, Gênes, Berlin ou encore Anvers et participe à Documenta 5 (1972) et 6 (1977). Il décède prématurément en 1978 à l’âge de 35 ans. Pour avoir posé la question du rôle et des limites de l’architecture son œuvre marque plusieurs générations d’architectes et d’artistes.
Une première grande rétrospective lui est consacrée aux Etats-Unis par le Museum of Contemporary Art de Chicago en 1985 et en Europe à l’Instituto Valenciano de Arte Moderno (IVAM) de Valence en 1992. Sa dernière rétrospective en France au Musée Cantini de Marseille remonte à 1993 et aux Etats-Unis à 2007 au Whitney Museum of American Art de New York. Le Bronx Museum of the Arts prépare actuellement une exposition importante pour septembre 2017.
1 Gordon Matta-Clark, « Les découpes de Gordon Matta-Clark, un entretien avec Gordon Matta-Clark par Donald Wall », publié dans Arts Magazine en mai 1976 et inclus dans Gordon Matta-Clark Entretiens, Editions Lutanie, Paris, 2011.
L’artiste
-
Gordon Matta Clark