Hyper Carbone — Pierre Gaignard et Koy Köhnke

Exposition

Nouveaux médias, sculpture

Hyper Carbone
Pierre Gaignard et Koy Köhnke

Passé : 30 juin → 4 septembre 2021

Après ANTE:IRL, prologue proposé au WONDER/Fortin en février 2021, Pierre Gaignard et Roy Köhnke présentent à la galerie Eric Mouchet HYPER CARBONE. L’exposition invite le public à pénétrer un temps suspendu sous les auspices du carbone, du charbon, de la combustion. Ici, la résurgence du feu compose les récits d’incendies, de régénérations — brûlis — et de rassemblements nocturnes.

Réminiscence de l’exposition manifeste des artistes surréalistes en 1938 où le feu crépitait au cœur d’un brasero éclairant un espace recouvert de poussière de charbon, HYPER CARBONE convoque les formes anthropomorphes de l’inconscient. Roy Köhnke et Pierre Gaignard réactualisent cet imaginaire collectif par la fiction scientifique, promesse d’un futur antidaté et d’un passé en recomposition permanente. En effet, si le duo avait un point commun, ce serait l’image combinée du fantôme et de l’hybride. Fantôme comme débris de mémoire, matérialisation du souvenir. Hybride comme synthèse anatomique, mise en pièces de l’intégrité physiologique.

La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes

Nourri d’une monumentale gamme d’images scannées et enregistrées, Pierre Gaignard emmagasine ce qui l’entoure. Monstrueuse base de données multimédia, ses œuvres sculpturales, vidéo et installatives constituent une cartographie mnésique et interconnectée : bâtiments détruits, individus évaporés ou moments fugitifs. Dé-réalisés par l’image virtuelle et la reconstruction 3D, les souvenirs de l’artiste se muent en présences fantomatiques. Témoins d’un temps suspendu, les spectres de Pierre Gaignard échappent ainsi à la décomposition fatale du vivant et de l’oubli.
Entre archive et hypertexte, Pierre Gaignard se joue du temps par la captation et la dématérialisation de la « réalité ». Il invente alors l’espace d’une narration technologique, une conscience « post-historique » : un hors-temps dont les règles peuvent être subverties, inventées à l’infini. C’est le principe du gameplay (contrôle de l’Histoire propre au jeu vidéo), dont Gaignard se saisit, invitant le spectateur à se perdre dans les méandres de ses propres stigmates. Laissant éclore la temporalité virtuelle, l’artiste observe également les formes se composer au hasard des algorithmes — telles les plantes grimpantes de l’œuvre Vapormax Hedera Helix (2021). Sur ces images grandeur nature, des personnages impassibles nous font face, nous observent, en attente d’une rencontre impossible. Sur leurs corps diaphanes, le lierre numérique s’est mis à pousser de manière erratique. Phénoménologue hanté, Pierre Gaignard façonne des êtres-ruines figés dans un éternel présent : des fantômes.

Revoir le monde comme un encodeur filou

Ni totalement vivants, ni vraiment inertes, les œuvres de Roy Köhnke apparaissent également comme des entités techniques et hybrides. Travaillant le plâtre, le feutre ou l’élastomère, l’artiste compose des formes étranges et translucides, nées d’un vestige de chairs, d’organes, de tissus. Gisant sur le sol ou suspendues comme des pièces de boucher, ses œuvres convoquent une tension entre l’enveloppe du corps et son contenu. L’artiste dépèce l’image du corps humain, pour le placer dans un rapport éphémère au temps, méditation sur la fragilité du vivant.
A l’amont des formes sculpturales, l’artiste compose sur papier des dessins « martyrs » à taille humaine. Les Suspended Consumption in X-Ray Style (2019) évoquent à la fois une plante abstraite, une carte céleste et un design numérique. Brûlés dans leurs plis, ces dessins sont autant de traces de l’artiste et de son rapport sensible à la matière.
Intégrant les câbles ethernet comme les veines et tissus de l’architecture, le corps cyber-tech conçu par Roy Köhnke interpelle notre perception de l’intégrité biologique et questionne l’idée de « progrès » scientifique. Dans sa pratique, l’artiste subvertit les procédés de la dissection qui, dès le XVIe siècle, posait les bases des sciences anatomiques « occidentales » par l’étude du corps non-vivant. Se réappropriant les technologies contemporaines de l’imagerie médicale et des appareils d’observation, Roy Köhnke met à nu la fiction de la mécanique interne. Nourri de cosmogonies extra-occidentales (s’inspirant par exemple des peintures aborigènes australiennes), l’artiste défie la construction incomplète de nos savoirs.

Cet ensemble n’appartient ni au territoire de l’ombre ni à celui de la lumière. Il se situe aux marges

Guidant notre regard vers l’invisible qui compose notre écosystème, le travail de Roy Köhnke et Pierre Gaignard pourrait également s’imaginer dans un rapport à la friche, à une biodiversité intraterrestre. D’apparence chaotique, la friche se définit par son statut marginal et souvent périphérique. Elle dessine un espace de régénération, d’asile et de passage. Affranchie de la rigueur des agencements productivistes, la friche autorise les rencontres aléatoires du vivant.
Complices depuis plusieurs années, Pierre Gaignard et Roy Köhnke évoluent au sein du WONDER, implanté à Clichy depuis 2020. Espace d’art autogéré où vivent et travaillent près de 60 personnes, le WONDER a été fondé en 2013 en banlieue parisienne. Contraint au nomadisme, le projet artistique et communautaire s’implante dans des constructions désaffectées, occupant les espaces abandonnés du capitalisme. Les artistes-résidents y éprouvent les possibles d’un mode de vie dissident, d’expérimentations collectives et d’une organisation symbiotique. Poussant sur ce terreau fertile, la pratique de Roy Köhnke et Pierre Gaignard se propage à la manière des plantes rudérales (végétaux des interstices et des bords de route).

Récit irrésolu, l’exposition HYPER CARBONE invite à se perdre dans un monde techno-poétique dont les signes seraient des natures mortes vivantes. Incarnations de l’absence, les créations de Pierre Gaignard et Roy Köhnke se développent en tissu micellaire : un labyrinthe souterrain d’où émergent des œuvres lumineuses et calcinées. Une pratique en réseau invitant à « rêver l’obscur ».

Simona Dvořáková & Tadeo Kohan
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