John DeAndrea — Grâce
Exposition
John DeAndrea
Grâce
Passé : 9 juin → 22 juillet 2023
Soyons honnêtes : tous, nous nous sommes encore laissés prendre une fois, la première fois que nous avons croisé sur notre chemin une sculpture hyperréaliste dans une exposition. Même un habitué des galeries et des musées dʼart contemporain a pu ressentir ce sursaut mental en apercevant de loin un touriste en chemise bariolée de Duane Hanson ou une jeune femme entièrement nue de John DeAndrea ; lʼeffet de vérité de ces personnages, leur incongruité ont déchiré l’atmosphère paisible du lieu d’exposition.
Ainsi, en 1972, des visiteurs de la Documenta furent-ils choqués par Arden Anderson et Nora Murphy (1972), en les regardant comme deux amants couchés et enlacés, surpris juste après, ou juste avant, lʼamour. Bien sûr, les amateurs dʼart dʼaujourdʼhui ne sont plus choqués, mais ils nʼen continuent pas moins dʼéprouver un soupçon de gêne. La chaude présence du modèle ne sʼimpose-t-elle pas à leur imagination comme une transpiration de son effigie de bronze ? Lʼartiste, dont il faut dire quʼil est autant peintre que sculpteur, a consacré des heures et des heures de travail au rendu hallucinant de précision de la carnation, de sa transparence, à lʼaffleurement de la veine la plus délicate, du grain de beauté, du bouton, de la tache les plus infimes.
À quelques centimètres dʼun corps nu grandeur nature, dont le grain de la peau est si perceptible quʼon croit le voir frissonner, on garde les mains dans les poches. Dans cet instant, au fond de nous, nous sentons revenir ce que Klossowski appelle le « point de vue du lycéen ». Jʼajouterai cette remarque circonstancielle : je suis certaine que lʼamateur ressent plus vivement cette nudité « quʼun.e militant.e » du néo-puritanisme à la mode dʼaujourdʼhui qui viendrait dénoncer quelque indécence ou exploitation du corps de la femme, son regard obéissant moins à sa sensibilité quʼà son idéologie.
[…] Presque toutes les sculptures réunies dans cette exposition-ci — toutes de 2022 — montrent des femmes dans des positions très peu expressives. Elles sont pensives, au repos.
Adam et Ève eux-mêmes ont lʼair plus résignés quʼaffectés dʼêtre chassés du Paradis. Il semble que ces sculptures apportent dans le lieu de lʼexhibition toute la retenue, la concentration, lʼindifférence libidinale qui règnent dans un atelier académique, là où précisément DeAndrea dit avoir découvert sa véritable vocation.
Catherine Millet, Les belles indifférentes de John DeAndrea (extraits), paru dans Grace, monographie de John DeAndrea, Co-édité par la Galerie GP & N Vallois & Les Presses du réel, 2023
Horaires
Tous les jours sauf le dimanche de 10h à 17h
L’artiste
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John DeAndrea