Julien Berthier — Public Sculptures

Exposition

Dessin, photographie, sculpture

Julien Berthier
Public Sculptures

Passé : 9 janvier → 21 février 2015

À la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, Julien Berthier déploie un imposant corpus de sculptures sous le titre générique : les Portraits. L’ensemble offre un panel de formes abstraites façonnées dans les matériaux qui composent une histoire presque exhaustive de la ronde-bosse de l’antiquité à l’âge moderne. Une telle démonstration de force créatrice n’éveillera que de minces soupçons à l’endroit de celui qui présentait ici même une œuvre manifeste pour un art conceptuel du ravissement — au sens délictueux du terme — ( A LOST, 2011), car — après tout — les grands artistes s’illustrent dans les grands écarts. Mais la perplexité détrônera la surprise quand, après avoir mesuré le paradoxe qui consiste à présenter des œuvres « d’intérieur » dans une exposition nommée Public Sculptures, on tentera de rapprocher chaque pièce de son titre. Un tantinet trop baroques et de belle facture artisanale pour d’honnêtes prétendantes au minimalisme, voilà déjà ces abstractions géométriques dévoyées par les signifiants qui les escortent, et pas des moindres : Jean Jaurès, Hannah Arendt, Raymond Radiguet. La statuaire n’ayant jamais eu plus noble projet que de représenter les grands de ce monde, par quelle opération allégorique pourra-t-on reconnaître l’auteur du Diable au corps dans cette construction équilibriste jaune en acier peint, sur son socle cylindrique contreplaqué de bois rouge ? La référence serait-elle plutôt du côté de la pièce bouffonne, Le Gendarme incompris, ou bien l’argument se suffirait-il de « l’inspiration de l’artiste » ?

Assez d’égarements ! Ces formes sont concrètes, ces abstractions déduites — c’est-à-dire fausses — et ces sculptures ont un lien véritable avec l’espace public ou, plus précisément, le trottoir. Elles portent le nom de la rue où l’artiste a trouvé ces empilements de meubles démontés qui attendent le camion des éboueurs tandis que leurs répliques en métal reposent sur des reproductions à l’identique de plots anti-stationnement. Bien sûr ce dénouement ne contrarie en rien le noble héritage des avant-gardes, dont on reconnaît ici les gestes principaux : la superposition, le déplacement du champ du banal au champ artistique et, par conséquent, la conversion de la valeur d’usage en valeur esthétique (occasionnant à dessein une double interpellation de leurs critères), ou encore la flânerie urbaine, sans oublier cet insistant clin d’oeil au constructivisme. Alors cette manière d’interroger l’intention de la statuaire publique avec une chose encombrante posée sur une chose coercitive, en somme deux objets qui imposent de les contourner, et enfin, de s’attribuer le génie de deux sculpteurs anonymes (inconscients ou refoulés) en signant une nouvelle sculpture (disons, celle du troisième type), n’est-ce pas là un coup de maître ? Il serait plus fidèle à l’humeur de l’artiste de souligner la teneur romantique d’un tel anoblissement de deux réalités urbaines diffamées (pour leur rapport respectif à l’ordre : l’un en étant l’instrument bafoué, l’autre un signe de transgression), et la teneur politique de cette proposition de sculpture publique à l’image de la rue, une statuaire que l’on pourrait qualifier d’un réalisme neuf (pour ne pas user de vieilles formules).

Des intentions communes animent le projet Pigeonner. Dans le registre animalier des nuisibles citadins, ses occurrences dans la sculpture des places publiques sont bien inférieures à sa démographie sur les sites concernés. Mimant encore l’inspiration du sculpteur traditionnel, les aquarelles posent d’authentiques questions d’équilibre formel et narratif dans ce qui se donne une nouvelle fois pour une fausse piste, bien que témoignant d’une réelle ambition d’usurpateur. Le pigeon arrive sur le genou de la vénus songeuse ou sur la tête du lion conquérant comme une cerise sur le gâteau : disponible dans une variété de patine, ces pigeons en bronze — qui feraient d’honorables sculptures pour rebord de cheminée — offrent un surplus temporaire de réalisme à la sculpture. Ils sont dans le champ de réflexion sur la statuaire ce que le « plus-produit » est au domaine du marketing (analogie qui ne saurait faire l’impasse sur l’acception familière du verbe « pigeonner »). Considéré à l’aune de notre problématique, le geste du sculpteur serait le plus approprié à l’espace public en ajoutant quelque chose afin d’y soustraire autre chose, l’autorité par exemple.

À l’inverse, les Corrections procèdent par retrait pour apporter un bénéfice esthétique et pragmatique au paysage urbain, où l’artiste intervient encore dans l’illégalité articulée à de bonnes intentions civiques. Ce vandalisme prévenant consiste à simplifier les dispositifs de signalisation de la voie publique en retirant les poteaux superflus. C’est ainsi que la capacité de l’artiste à changer le monde s’exerce dans un geste qui ne change presque rien mais induit l’idée — abandonnée par ses propres instigateurs — d’un possible changement, ou d’une raisonnable amélioration. Ramenés dans l’espace d’exposition, ces segments de métal y évoquent de probables sculptures minimales, ou encore des éléments de restitution du site selon la tradition conceptuelle ; ce qu’ils sont. Mais leur premier statut leur confère une autre strate de valeur, autrement plus politique : ce sont des butins.

Julie Portier
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33/36, rue de Seine

75006 Paris

T. 01 46 34 61 07 — F. 01 43 25 18 80

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