Le monde enchanté de Jacques Demy

Exposition

Dessin, film, peinture, photographie...

Le monde enchanté de Jacques Demy

Passé : 10 avril → 4 août 2013

L’œuvre cinématographique de Jacques Demy dessine un monde. Un monde de villes portuaires, traversé de chassés-croisés amoureux, où l’imaginaire a toujours raison de l’impossible. Dix-huit films que le cinéaste désirait tous « liés les uns aux autres ». Comédie humaine pop, hantée d’une pléiade de personnages enchantés, qui apparaissent dans le champ avec une précision méticuleuse, pris dans le filet géométrique d’une mise en scène au cordeau qui fait de Demy (1931-1990) un des plus grands perfectionnistes du cinéma français. Et un des seuls à avoir interrogé le devenir musical du septième art.

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Agnès Varda, Anouk Aimée sur le tournage du film Lola de Jacques Demy, 1960 © Agnès Varda

Des inédits

L’univers cinématographique de Jacques Demy se compose de forains, fée des Lilas, ouvriers, jumelles excentriques, artistes rêveurs ou marchand de télé. Il est un de ces cinéastes magiciens qui a su garder son enfance intacte, continuant d’y puiser tout au long de sa vie son énergie créatrice. Puissance de sublimation inassouvie, présente aussi dans sa pratique du dessin — dès les années 40 — de la photographie et de la peinture — dans les années 80 — que l’exposition révèle pour la première fois aux côtés de clichés inédits de sa compagne Agnès Varda, et d’œuvres réalisées par ses plus proches collaborateurs. En particulier, les créations musicales de Michel Legrand, son « frère de cinéma », ainsi que les gouaches fauves du décorateur Bernard Evein. Mais l’œuvre de Demy outrepasse la seule histoire du cinéma pour s’inscrire dans celle de l’art du XXe siècle. Pour prouver ce postulat esthétique, l’exposition, construite de manière chronologique, confronte les films avec des œuvres originales dont Demy a explicitement revendiqué l’influence : Raoul Dufy dont l’aquarelle La Baie des Anges inspirera son film éponyme, David Hockney pour sa représentation lumineuse de la Californie ou Leonor Fini pressentie pour créer les costumes fabuleux de Peau d’âne.

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Agnès Varda, Jeanne Moreau et Jacques Demy sur le tournage du film La Baie des Anges de Jacques Demy, 1962 © Agnès Varda

Un rapport poétique au réel

C’est dans le grenier nantais de ses parents que le jeune Jacques, déjà cinéphile et passionné de technique, se met à inventer des courts métrages d’animation. Ainsi en 1944 Pont de Mauves, film peint sur Celluloïd.

Après avoir suivi les cours de l’École technique de photographie et de cinématographie à Paris, le désir de Demy pour le 7ème Art le conduit à s’orienter vers le documentaire, alors qu’il est pourtant un admirateur inconditionnel des fééries de Minnelli, Ophuls et Carné. Sous l’influence de Georges Rouquier, dont il a été l’assistant, il retrouve l’artisan qui s’occupa de lui une partie de la guerre pour enregistrer, dans l’intimité de son atelier, les gestes du quotidien — Le Sabotier du Val de Loire. Ce rapport poétique au réel, il en verra la confirmation dans les amitiés cinéphiliques qu’il tisse, dès 1957, avec les futurs chefs de file de la Nouvelle Vague. Malgré des différences — moins théorique, plus onirique — l’émulation entre eux est fondamentale, faite de vases communicants qui amènent Demy à être produit, pour son premier long métrage Lola (1961), par Georges de Beauregard, via l’entremise de son ami Godard.

Ce film, situé à Nantes, sa ville natale — Demy est le grand cinéaste provincial de la Nouvelle Vague — est orchestré dans un jeu cru de lumières et d’ombres. Lola, meneuse de revue, vit de rencontres passagères en attendant le retour du père de son fils. Elle croise, Passage Pommeraye Roland Cassard, un ami d’enfance, avec lequel elle se sent immédiatement intime. Leur couple est un parmi d’autres dans cette ronde de femmes et d’hommes qui semblent s’offrir des jeux de miroirs les uns les autres. Dans un plan séquence, Lola et Roland passent devant une boutique qui s’appelle « Elle et Lui ». Si ce n’avait déjà été le titre du chef-d’œuvre de McCarey, ce pourrait être le sous-titre de l’œuvre de Demy, qui prend l’unité du couple comme l’étalon émotionnel : que cela soit le couple légendaire de Peau d’âne, le couple comme-tout-le-monde de L’Événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, ou le couple mythologique qui veut braver la mort dans Parking (Orphée et Eurydice). S’il est une question qui obsède Demy, c’est bien de savoir si le temps peut effacer l’amour que l’absence n’a pas su désagréger. L’amour ne meurt jamais, sera sa réponse artistique, filmée avec mélancolie certes, mais aussi avec une croyance presque surnaturelle dans le destin. Naïveté qui est la force de Demy. La quête, sans honte, d’un premier degré bouleversant et finalement provocateur. Parce qu’à travers sa recherche de l’idéal, Demy n’a cessé de réaliser des œuvres qui, si elles semblent légères en surface, sont aussi profondément engagées. Le chant des poètes se mue alors en chœur du peuple, et Demy de ne jamais oublier que la brutalité du réel est aux portes de ces rubans de rêves que sont les films. Un réel qui finit toujours par séparer les amants : la guerre d’Algérie dans Les Parapluies de Cherbourg, la guerre du Vietnam dans Model Shop, la Révolution française dans Lady Oscar.

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Jacques Demy, Catherine Deneuve et Françoise Dorléac avec Jacques Demy sur le tournage du film Les Demoiselles de Rochefort, 1966 © Cine-Tamaris — Photographie Hélène Jeanbrau

Eternel retour

L’exposition propose une traversée de ce Demy-monde, avec des entretiens inédits, diffusés in situ, de Michel Legrand et d’Harrison Ford, pressenti pour jouer dans Model Shop. Un continent à lui seul, où le souvenir vient bouleverser le présent, rendre possible la coexistence de plusieurs époques. Car, de films en films, le spectateur retrouve les mêmes personnages (et acteurs !), un peu plus âgés, un peu différents. Model Shop, précurseur du Nouvel Hollywood, est une suite assumée de Lola, huit ans après, sur le sol californien. Réapparaît Anouk Aimée, brisée, posant pour quelques dollars dans l’intimité d’une chambre close et rose cheap, d’où elle n’espère qu’une seule chose : s’enfuir. Le contraire de cette envie irrépressible d’être sous les projecteurs, qui anime Les Demoiselles aussi bien que la jeune Marion de Trois places pour le 26. Dans tous les cas, Demy filme le spectacle en coulisse, s’attache aux corps de ses héroïnes, en effleurant leurs vies secrètes, ces lointaines aventures hors champ dont les échos reviennent avec émotion au bord du cadre.

L’œuvre de Demy est un éternel retour. Jusqu’à aujourd’hui encore, où des metteurs en scène contemporains le plébiscitent par voie de cinéma interposé — Christophe Honoré ou Hou Hsiao-hsien. Demy a créé un cinéma radical et fécond, qui a valeur de manifeste, comme l’atteste la Palme d’or qui lui a été remise pour ses Parapluies de Cherbourg en 1964. Un opéra populaire, qui raconte les désillusions de l’amour avec une vibration impertinente, sans peur du mélodrame. Un film où Demy ose demander à Catherine Deneuve de scruter à plusieurs reprises la caméra, pour exhiber cette intériorité qui défie les hommes. Deux ans après ce triomphe, Demy réalise avec sa muse inspiratrice Les Demoiselles de Rochefort : un West Side Story à la française, où l’abstraction présente dans la galerie d’art Lancien se marrie avec perfection aux ballets du montage — Gene Kelly et George Chakiris en guest stars .

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Jacques Demy, Jean-Louis Rolland, Richard Berry et Jean-François Stévenin, dans le film Une chambre en ville, 1982 © Ciné-Tamaris — Photographie : Moune Jamet

Scénographier le merveilleux

Les films de Demy explorent des biffures insolentes, des collisions de personnages projetés dans un manège multicolore et symphonique. Comme un torrent, aurait dit Minnelli. Torrent de rythmes envoûtants créés par Legrand alliés à de magnifiques effets de langue qui disent la spontanéité et la fuite en avant, la vérité toute crue et le mensonge acidulé. Sur fond de papiers peints multicolores que l’exposition recrée, non pas simplement par envie de faire « comme si » — pénétrer l’envers du décor — mais parce qu’ils sont la situation même du film, une forme de récit chromatique : le plot.

Chez Demy, le réalisme et le merveilleux s’équilibrent pour donner à ses films des formes bigarrées. Comme si le cinéaste ne pouvait choisir entre des pôles contraires. Ainsi, Lady Oscar mêle le décorum versaillais à l’intuition géniale que les mangas japonais ont un avenir cinématographique. Tandis que Peau d’âne évoque le Moyen Âge français teinté de psychédélisme américain. En somme, c’est bien au songe qu’il faudrait comparer ses films, dans cette manière de faire coexister les contraires. Des récits nourris de symboles cachés, et de phrases cryptées, sans pour autant désorienter le spectateur qui pénètre dans son univers avec euphorie. Car on revit avec Demy une expérience de cinéma originelle, comme aux premiers temps du cinématographe.

Dans son article « Le Cru et le Cuit », Serge Daney disait de Demy que le cinéaste avait moins travaillé dans la décennie 70 — il en sera de même dans la décennie suivante — faute d’avoir su « créer sa machine de production », et qu’« il en avait sans doute souffert. » Après l’échec d’ Une Chambre en ville son joyau noir, Demy choisit de s’isoler. Il collectionne des copies de ses films préférés, peint et fait de la photographie. Il a décidé de s’inventer un monde parallèle à celui du cinéma. On retiendra de lui son visage bouleversant filmé par Agnès Varda dans Jacquot de Nantes, en 1990. En pleine possession de son imaginaire. Les yeux dans les yeux. Habité de tous les films qu’il aurait pu faire et qui continuent de vivre dans l’esprit de ceux qui en ont tout simplement rêvés.

Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition
Cinémathèque française Centre d’Art
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51, rue de Bercy

75012 Paris

T. 01.71.19.32.32

www.cinematheque.fr

Bercy

Horaires

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Les dimanches de 10h à 20h
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