Philemona Williamson — Lopsided

Exposition

Peinture

Philemona Williamson
Lopsided

Dans 15 jours : 30 août → 11 octobre 2025

Une ado révoltée dans sa petite robe rouge brandit armes et drapeau. Deux enfants sur une branche cueillent des oiseaux trop grands. Trois poupées aux bras désarticulés gesticulent sur fond rose. Tout, dans la peinture de Philemona Williamson, résonne du souvenir de l’enfance. Non pas au sens restreint des premières années de la vie, mais au sens freudien de l’_infans_, cette période transitoire, instable et décisive, où l’on s’éveille au monde, à soi, aux autres. Entre deux âges, entre deux eaux, la peintre navigue au milieu des figures androgynes et des intentions troubles. D’autres toiles, d’autres peintres ont exploré les contorsions et les effets de déréalisation : que l’on songe aux jeunes filles effrontées et lascives de Balthus, ou aux figures métisses et taiseuses de Gauguin. À la grande différence que Williamson est une femme et qu’elle porte sur ces corps, c’est-à-dire sur elle-même, un regard plus complice et plus juste, débarrassé surtout d’un male gaze problématique. Son œuvre est davantage cousine des récits turbulents de Paula Rego, mettant en scène des éléments autobiographiques sur un mode à la fois féministe et fabuliste. Pour l’une comme pour l’autre, le corps féminin est sujet, acteur de son destin et de l’image qu’il projette.

Pour sa deuxième exposition à Paris chez Semiose, Williamson présente un ensemble de petits formats, rarement montrés. Parmi eux, Taking a Rest (2024), étrange portrait d’une poupée de gouvernante noire assise sur un fauteuil en rotin tressé, parvient en quelques traits à résumer son récit familial. L’artiste a grandi entourée de sa mère, son père et des deux filles, plus âgées qu’elle, de la riche famille grecque pour laquelle ses parents travaillaient à demeure. Son histoire, on le comprend, n’est pas des plus courantes, tout comme son expérience de la ségrégation et des inégalités. Malgré les différences — de niveau de vie, de couleur de peau et d’origine — la petite Philemona fut pour ainsi dire adoptée, sans plus de cérémonie que les jeux et les rires partagés. Le charme de l’enfance tient en cette liberté d’accueillir sans juger. Tel est ce qui façonne l’univers de la peintre. Dans son iconographie, d’abord : pas de groupes assignés à des rôles, pas de règles, ni de genre. Dans la technique, ensuite : pas de préméditation, mais une peinture enlevée, plus brossée qu’appliquée, sans dessein ni contrainte. L’image se construit progressivement, au fil de la peinture, autour d’un élément plus saillant que les autres. C’est pourquoi elle chavire en un clin d’œil du côté de la rêverie.

D’aucuns diraient qu’elle bascule « de l’autre côté du miroir », et c’est vrai qu’il y a chez Williamson un peu de Lewis Carroll et de sa chère Alice. Mais il y a quelque chose, surtout, du Peter Pan grinçant de James Matthew Barrie. Remarquons que ses figures sont souvent dénuées d’ombre (tout comme Peter Pan qui cherche la sienne au début de l’histoire), qu’elles flottent, irréelles, dans de la couleur pure, que peu d’entre elles sourient, que beaucoup semblent préoccupées. Si l’artiste nous entraîne vers le monde de l’enfance, elle le fait sans naïveté et n’en dissimule pas le versant plus inquiet. Cela, elle l’affirme même, avec une grande maîtrise formelle et une réelle densité dramaturgique. Dans Playtime (2024) par exemple, une jeune fille repliée, paraît soudain trop grande pour tenir dans le tableau. Au milieu de ses jouets, les nuances s’entrechoquent. Rouge et rose du camion contre le bleu de la jupe, coton blanc de la poupée contre le brun de la peau. Et ce regard en coin, éclat blanc comme une lame, qui tranche, nous attire, et pourtant se dérobe hors-champ, comme dans presque toutes les toiles. Une autre œuvre, la plus allégorique de la sélection, pousse plus loin encore la logique du seuil. Boundary Crossed (2023), où l’on voit deux petites Walkyries, l’une sein nu, l’autre visage caché, sur un cheval de manège encore tout encombré de leurs poupées. Il est ici question du tumulte de grandir et de quitter l’enfance, d’en franchir la frontière. Autour d’elles, les grosses fleurs et le fond jaune solaire évoquent autant la promesse de l’épanouissement que la menace de se brûler les ailes. Sous l’apparence innocente et joyeuse de ses compositions, Williamson explore les ressorts plus profonds du désir et de la révolte. Cependant, elle ne clôt jamais rien, n’explique rien, ne résout rien. Contrairement à Wendy, dans Peter Pan, elle ne recoud pas l’ombre des enfants perdus.

Thibault Bissirier

  • Vernissage Samedi 30 août 11:00 → 20:00
04 Beaubourg Zoom in 04 Beaubourg Zoom out

44, rue Quincampoix

75004 Paris

T. 09 79 26 16 38

Site officiel

Etienne Marcel
Hôtel de Ville
Rambuteau

Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous

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