Sabine Weiss — Sous le soleil de la vie

Exposition

Photographie

Sabine Weiss
Sous le soleil de la vie

Passé : 28 novembre 2020 → 27 février 2021

Quand il a fallu choisir un titre pour cette exposition, je souhaitais mettre en exergue des mots ou une expression qui racontent la personnalité de Sabine Weiss. Solaire, sourire, énergie, optimisme, travail… les qualificatifs ne manquent pas. Caractère, aussi ! Sous le soleil de la vie s’est assez vite imposé car il résume assez bien son appétence. Vous l’aurez compris, c’est avec beaucoup de tendresse que nous présentons à la galerie une nouvelle exposition de Sabine Weiss, avec des photographies connues, d’autres plus singulières, et toujours comme maître mot la composition et la lumière.

Françoise Morin

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Dans le petit atelier qu’elle habite depuis plus de soixante-dix ans, les objets sont partout. Sur les murs, les tableaux, les reliquaires et une extravagante collection d’ex-voto qui grimpe comme une vigne vierge sur le limon de l’escalier. Des cailloux polis devant la cheminée, des sulfures sur une étagère, un mortier au fond troué, un masque de momie… « J’accumule les fourbis », constate Sabine Weiss. Cette grosse pierre ronde qui semble avoir deux yeux a été rapportée du voyage en Égypte. Elle l’avait offerte à Hugh, son mari, qui lui demandait à chacun de ses retours : « T’as pas un cadeau pour moi ? » Ce petit étui à Coran, elle l’avait trouvé à Ramatuelle, pour lui. Elle a fait traduire les caractères gravés sur l’argent : « Que la joie, la félicité et l’amour vous envahissent. »

Chaque chose ici à son histoire, et chaque histoire est précieuse. Sabine repose l’étui sur le plateau de la commode, sous l’escalier. Elle le regarde, le déplace de quelques millimètres. Elle plisse imperceptiblement les yeux pour vérifier sa juste place. « Encore hier, je me disais : mais enfin, arrête ! Je suis toujours en train de composer. » C’est une habitude qu’elle a depuis tant d’années qu’elle est devenue son œil.

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Sabine Weiss, Les lavandières, Bretagne, 1954 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Elle a ce même regard en feuilletant les épreuves de ce livre. Cette fois, elle n’a pas laissé à d’autres le soin de choisir les photos. Elle s’en est chargée, revisitant le travail de toute une vie. Elle s’arrête, portant à chaque image l’attention affectueuse qu’elle accorde aux objets. « Ah, dit-elle, celle-là, je l’aime bien. » Il y a tant de raisons d’aimer une photo, le modèle, la rencontre, l’histoire, le moment, la composition, la lumière, la convergence miraculeuse de tous ces éléments. Elle résume : « J’aime beaucoup mes photos, je suis très sentimentale. » Il y a de la malice dans son sourire, de l’évidence aussi. Les pages jonchent la table basse, les années défilent.

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Sabine Weiss, Valence, 1954 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Sabine Weiss a quatre-vingt-seize ans. Elle photographie depuis qu’elle a onze ans. Elle est entrée en apprentissage à dix-huit ans. Elle était photographe certifiée à vingt et un ans. Professionnelle, elle a « fait de tout », des bébés et des morts, des reproductions de tableaux, des parfums et du cognac, des riches dans leurs belles maisons, des mannequins dans toutes les poses… Elle a ramené des reportages des États-Unis, d’Éthiopie, du Portugal, de Belfort, d’URSS, d’Inde, du Val-de-Marne… Elle a tiré des portraits d’artistes, écrivains, peintres, sculpteurs, chanteurs, dont certains entaient ses amis. Elle a photographié aussi Jean Monnet, ou Dwight D. Eisenhower. Elle a eu des clients prestigieux, des magazines légendaires, des publicitaires réputés, une agence historique, en France et surtout aux États-Unis. « J’ai tout fait », répète-t-elle avec une fierté d’artisan, confondue par la quantité́, la diversité et la difficulté de l’ouvrage abattu. (…)

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Sabine Weiss, New York, 1955 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Si c’était à refaire, a-t-elle souvent confié, elle délaisserait les commandes. Pas de mode, pas de publicité. Des reportages, des balades, des rencontres, voilà ce qu’elle ferait, exclusivement. Une vie entièrement dévolue au plaisir de voir. « Je me délecte d’être obligée de regarder », dit-elle. Une vie de délectation.

Un fantasme. Car comment affranchir l’œuvre libre de Sabine Weiss de l’existence contrainte ? Comment comprendre la singularité de ses photographies, leur intégrité, leur rapidité un peu rêche ? Sabine Weiss s’arrête sur l’une d’elles : « J’aime beaucoup celle-ci. Elle est très mauvaise techniquement, mais ce monsieur qui se penche pour acheter un brin de muguet à ces gosses… » On se dit que, pour s’émanciper si allègrement de la technique, il faut l’avoir vraiment possédée. Sabine Weiss s’est tellement exercée qu’elle sait voir sans (tout) voir. Ses compositions se jouent du net et du flou, du détail, des passants qui traversent le champ. « On ne peut rien prévoir. On fait ce qu’on peut. On est tributaire du hasard. J’aime bien. » (…)

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Sabine Weiss, Au salon des arts Ménagers, Grand Palais, Paris, 1956 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Sabine a beaucoup photographié les enfants. Professionnellement, peut-être aussi parce qu’elle est une femme, on le lui a beaucoup demandé. Mais il y a autre chose. Partout où elle est passée, de l’Inde à Saint-Cloud, elle a rapporté des portraits d’enfants. Ses photos n’ont pas grand-chose de « mignon », ni même d’évocateur. Les enfants y figurent crûment, comme des êtres à part entière, saisis dans leur vérité sociale, culturelle, familiale. Cocasses ou déchirants, ils existent en acteurs du monde. Elle remarque : « Je ne suis pas très loin de tout ça », et c’est probablement à la vigueur persistante de sa propre enfance qu’elle doit l’intégrité de son regard. Elle sait comme personne photographier un enfant parce qu’elle est son égale.

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Sabine Weiss, Paris, 1949 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Sabine Weiss ne se souvient pas d’avoir été impressionnée par ses modèles, même les plus illustres (« le maréchal Juin, très gentil »). Elle dit pourtant : « Les enfants ne vous font pas peur, ils ne vont pas vous casser la figure. » Elle constate, en parcourant ses photos : « Beaucoup d’enfants, beaucoup de vieux, peut-être qu’ils font des choses plus intéressantes que les adultes. » Des mendiants aussi, des clochards, des gens du voyage, des gens « simples ». « Les milieux populaires, ça me touche. Ils ne sont pas prétentieux. Je ne les manipule pas. » Elle qui, pour les magazines, a tellement photographié les heureux du monde semble trouver une forme de paix, de tendresse aux marges de la société adulte et triomphante. C’est là qu’elle s’arrête, touchée par un geste, une attitude. Elle choisit « les gens paumés », « les gens seuls ». « Vous savez, ajoute-t-elle, considérant son œuvre, ce n’est jamais très gai. »

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Sabine Weiss, Jardin Public, Paris, 1985 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

Sabine, qui existe tellement, dit de ses sujets : « Photographier une personne, c’est la faire exister. » Moins dans l’image elle- même que dans cet instant d’échange, où l’une offre ses yeux et l’autre son regard. Encore et encore, montrant une autre photo, Sabine Weiss raconte une situation semblable : « Et celle-là, elle était tellement contente, elle avait besoin de quelqu’un. » On n’entend aucune arrogance dans cette sympathie universelle érigée en méthode d’approche. Plutôt une jubilation inépuisable, née du partage de la vitalité. Quelque chose comme une rédemption joyeuse, une double rédemption, de part et d’autre de l’objectif. « Je suis peut-être gentille au fond, lance Sabine Weiss, avec un sourire espiègle. Peut-être. »

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Sabine Weiss, Madrid, 1950 Tirage gélatino-argentique postérieur — 40  × 30 cm © Sabine Weiss / Courtesy Les Douches la Galerie, Paris

« Ah bon ? Vous me connaissiez ? demande Sabine, dubitative. Je ne suis pas très connue quand même… » On proteste, elle semble s’étonner. Puis elle clôt le chapitre sur un murmure : « Tant mieux, tant mieux. Très bien… » Elle range sur la table devant elle les épreuves du livre à venir : « Ce sont les choix de Sabine Weiss. J’y ai mis les photos que j’aime. J’ai essayé de ne pas prendre de choses connues. » Elle se reprend : « Si, quand même… J’ai essayé de ne pas décevoir. »

Marie Desplechin, extraits de l’ouvrage Émotions, paru aux Éditions de la Martinière, 2020

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