Hear us marching up slowly : Dorothée Smith
Exposition
Hear us marching up slowly : Dorothée Smith
Passé : 27 janvier → 25 février 2012
La galerie présente la première exposition personnelle de Dorothée Smith à Paris. Cette jeune artiste française est diplômée de l’Ecole de Photographie d’Arles en 2010. Elle est depuis un an et demi résidente du Fresnoy, Studio National des Arts Contemporains à Tourcoing. Dorothée Smith, à travers ses différentes séries photographiques et l’installation vidéo C19H28O2 (agnès), produite par le Fresnoy en 2011, qui seront présentées à la galerie, explore la question du (trans)genre.
Dorothée Smith n’en fait pas mystère : son approche du visible, luministe et sombre à la fois, vaut comme image de l’incertitude des rôles sexués. La question du genre, thématisée depuis plus de vingt ans par la philosophie (en premier lieu par l’Américaine Judith Butler) tient une place non négligeable dans l’élaboration intellectuelle de son œuvre.
Mais comme tous les artistes authentiques et par-delà les enjeux du gender, Dorothée Smith se livre d’abord à l’exploration d’un univers formel. Certains ont pu repérer dans ses images un écho de la peinture de la Renaissance, d’autres une veine romantique. De quoi s’agit-il ? D’une gravité propre à la peinture de portrait florentine, ou des paysages parfois crépusculaires de ses arrière-plans ? Ou bien de la ferveur ombrageuse d’un peintre allemand comme Caspar David Friedrich : un fragment de paysage de la série Löyly ne contient-il pas une sorte de réplique en miniature de tel de ses pics enneigés ? S’il fallait tenter un rapprochement qui rendrait mieux justice à la qualité presque piétiste de cette série (sensible souvent dans d’autres ensembles comme Sub Limis ou Spree), je pourrais songer, non sans risque, à l’univers du peintre danois Vilhelm Hammershøï. Chez lui, un personnage sagement immobile, debout dans un intérieur où bruit le silence, une femme nue assise ou simplement quelques losanges de lumière posés par le soleil dans une chambre, suffisent à transmettre une spiritualité sans embarras. On y retrouvera peut-être l’austérité de vitrail de quelque église luthérienne de Scandinavie. Il y a chez Dorothée Smith un tropisme « nordique », et un autre vers l’Europe centrale.(…) L’œuvre est profondément enracinée dans son temps. Dans son monde parfois traversé par une certaine violence, les visages d’une douceur inexprimable, les yeux perdus, les corps lovés ou offerts dans les mirages d’une chaude intimité, les tiédeurs de banquise sublimée en haleine et les horizons sans vie sont polarisés, comme des aurores magnétiques, par le nouveau mode de défi lancé à la séparation des sexes par le monde actuel. Il s’agit moins ici de métaphores que de métamorphoses. Cette remise en cause, souvent perceptible dans les physionomies, semble trouver dans ces scènes de nature où l’eau, la glace et la vapeur jouent de leur mutabilité, une sorte d’expression climatique, littéralement comme si les points de congélation ou de surfusion faisaient office d’acteurs conceptuels de la dichotomie masculin-féminin devenue vacillante.
Pourtant, une fois encore, une intelligence de l’image est ici au travail. Ces photographies ne sont pas des idées grimées en formes plastiques. Elles ménagent des rencontres entre des états inconstants de la substance et cette sorte de mélancolie que porte avec elle toute utopie. Le « contenu social » de ces œuvres n’est pas celui de telle « minorité ». Certes, il présente des valences politiques manifestes : celle de l’identité de genre comme contrainte imposée par la condition biologique du « sexe » (être homme ou femme) ; celle d’un idéal de pleine adhésion à soimême, capable de surmonter cette servitude par une autre affirmation (se sentir homme ou femme). Mais ce mouvement d’assomption semble s’accompagner d’une ombre existentielle. Pour notre conception de la conscience, chacun d’entre nous ne doit-il pas être à ses yeux, en partie, un inconnu ? Rivé à l’affirmation de soi, l’individu n’est-il pas précisément exposé à la nostalgie d’une distance à lui-même, et celui ou celle qui relèvent du queer, dans leur écart vis-à-vis de la norme, font-ils autre chose que poser de manière plus cruciale que les autres cette question de l’être et du saisissement de soi par soi, qui vaut pour la condition humaine en général ? L’univers de Dorothée Smith reste superbement étranger à toute réponse satisfaite, à tout slogan, à tout jugement sur cette inquiétude post-biblique relative à l’autodétermination de chacun. La torpeur, tour à tour voluptueuse et inquiétante, semble s’y étendre à l’univers entier, comme si ces brumes et ces vacuités gardaient l’image des « tuniques de peau » que Yahvé fit à l’Homme selon la Genèse, et que certaines traditions exégétiques assimilent à des « robes de lumière ». Les bleutés translucides, les postures corporelles de retombement, de spleen ou de suavité, mais aussi les menaces ou les stigmates de désastres innommés (l’étonnante double colonne de vapeur, comme née d’un échange thermonucléaire ou de la sublimation fusante de toute dualité), font signe vers un monde parfois édénique, parfois touché par la froideur du désenchantement. Nous sommes au cœur d’une dissonance postmoderne, ou plus exactement hypermoderne, car tout désir d’émancipation est un désir de « modernité ». (…) La beauté des images de Dorothée Smith, grâce à un sens inné des relations d’espace, des épaisseurs temporelles et des immédiatetés photographiques, sait brouiller les frontières intérieures de la sensualité du spectateur. Ce n’est pas le moindre mérite de ces œuvres que d’ouvrir à cet intense travail de déplacement une syntaxe formelle et poétique d’une exigence sans faille.
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Vernissage Jeudi 26 janvier 2012 18:00 → 21:00
17, rue des Filles-du-calvaire
75003 Paris
T. 01 42 74 47 05 — F. 01 42 74 47 06
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 18h30
La galerie est ouverte du 11 au 16 mai aux heures habituelles, puis à partir du 18 mai du jeudi au samedi de 11h à 18h30.