CluelesS
Saloméja Jacquet & Clara Stengel, nées en 1994 et 1989, vivent et travaillent à Paris
« Être dans son monde » est peut-être la manière la plus juste d’interpréter le mot « clueless ». Contournant les traductions péjoratives, qui pourraient désigner quelqu’un·e d’ignorant·e, « clueless » devrait plutôt être entendu comme la position de celle ou celui qui défie la réalité. Car cluelesS — le duo de designeuses composé de Saloméja Jacquet et Clara Stengel — développe un répertoire d’objets à usage quotidien destinés à résoudre des problématiques du réel en créant un monde légèrement décalé du nôtre. Leur pratique pourrait être vue comme un emprunt de formes, de structures et de matériaux existants et communs afin de mieux les détourner, leur donnant ainsi une nouvelle destination. Le processus se lit à travers l’objet, révélant une manière de trouver des formes en les faisant, en répondant à un besoin immédiat et non prémédité. La souplesse — qu’elle se situe dans les matériaux employés ou dans la manière dont leurs gestes se déploient — est le fil rouge qui lie leurs productions entre elles. Chez cluelesS, un sac devient robe ; une chaise devient poche ; une poignée devient crochet… Ainsi, les usager·es ont le choix de se laisser porter par ces décalages, pour tendre vers un monde plus souple.
Katia Porro
Votre pratique du design réfléchit aux usages à partir d’une esthétique « souple ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Saloméja Jacquet : On sait pas si c’est une histoire d’esthétique ou une histoire d’usages. Pour nous ça viendrait de références textiles, on a quand même cette volonté de faire des sortes aller-retours entre vêtement et mobilier.
Clara Stengel : Ce qui nous intéresse c’est de déjouer l’ennui du quotidien, même si dans le contexte du nouvel accueil du Centre d’art il y une notion de sérialité, pour nous c’est imaginer des variations de couleurs, de matériaux, une porte qui s’ouvre d’une autre façon.
SJ : Il y a une flexibilité, toujours permettre ce petit ajustement qui fait que tu t’appropries un objet.
CS : Créer plein de possibilités pour qu’on ne s’ennuie pas en tant qu’usager·es et ne pas être nous-mêmes autoritaire en tant que créatrices. On travaille plus de manière empirique que par du dessin. On passe du temps à essayer des choses, même souvent en vivant nous-même avec, en les installant chez nous.
Vous avez souvent recours au réemploi de matériaux, notamment de textiles. Quels sont les enjeux de ce procédé ?
CS : Ce qui est intéressant, c’est que ce n’est pas forcément pour diminuer les coûts parce que le matériau va coûter moins cher mais après le temps de production, de retravailler les matières….
SJ : Ça sonne comme conscience écologique de base mais je suis pas sûre que ce soit ce qui nous anime, même si c’est une manière de vivre qu’on connaît : on achète de la seconde main, on n’aime pas jeter. Du coup, on arrive à l’écologie mais d’une autre manière, sans en parler directement. On aime aussi travailler avec des formes qui existent déjà et des contraintes. Des fois on se prend la tête à essayer d’assembler deux objets qui ne sont pas faits pour être ensemble, ça nous intéresse de trouver une solution.
CS : C’est un collage, ça vient du fait que moi, j’ai fait plus des études de menuiserie et je connais plutôt de matériaux rigides et que Saloméja, elle vient du textile.
Pourriez-vous dire quelques mots sur le choix de votre nom — cluelesS ?
SJ : On a cherché mille ans un mot et on trouvait ça trop sérieux. Juste trouver un mot, c’est super dur. On était un peu tombées sur cette série télé américaine, très girly. C’est une série des années 2000 qui parle beaucoup de comment on s’habille et où il y a une espèce de machine à générer des looks. On aimait bien ce mot de base parce que ça faisait référence à quelque chose d’assez léger.
CS : Et c’est mainstream aussi, c’est un mot qui peut évoquer quelque chose de léger ou d’un imaginaire commun. On le traduit par « absence d’indices » : c’est quelqu’un qui ignore ou qui est malhabile avec les codes sociaux, les façons de bien faire…
La Ferme du Buisson, texte et entretien publiés à l’occasion de l’exposition Les Sillons
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