Frédéric Platéus
Dans le champ actuel de la sculpture contemporaine, on peut distinguer deux courants dont les spécificités peuvent être identifiées, d’un côté, par la dimension « non monumentale » 1, et de l’autre, par un attrait « finish fetish ». Frédéric Platéus s’inscrit plus clairement dans la seconde orientation.
Le mouvement « finish fetish », issu de Los Angeles au milieu des années 60, était la réponse californienne à l’art minimal new yorkais. Leurs couleurs électriques sont le signe d’un « optimisme » typique de la côte Ouest, amenant des artistes comme Larry Bell, Robert Irwin, John McCracken ou Ken Price, à créer des sculptures influencées par la culture automobile, mais aussi par leur pratique du surf et l’intérêt porté sur l’industrie nautique ou aérospatiale. Cette situation correspond à celle d’une ville, Los Angeles, où l’industrialisation progressive a paradoxalement amené les artistes à reproduire, de façon artisanale, l’apparence usinée de leurs sculptures, utilisant des matériaux comme le plastique, le plexiglas, ou la résine polyester.
Figure de proue de la scène du graffiti en Belgique, Frédéric Platéus (alias RECTO) développe un parcours à la confluence de nombreuses influences importées, résultat des hybridations d’un monde globalisé. Les « sous-cultures » peuvent ici être entendues comme la conquête d’un espace de jeu pour la réinvention des identités et la redéfinition des hiérarchies culturellement admises. Pour l’exposition « Slam Dunk » — dont le titre évoque une figure technique du basketball américain qui fait passer pour aisé un incroyable effort physique — il donnait à voir un ensemble de ses sculptures Bomb R, à partir de la stylisation de la lettre R, transposée du graffiti à la 3D et gonflée à la manière « throw up », habituellement associée à la peinture à l’aérosol. Réunies dans la galerie sur un plancher de basketball, les Bomb R sont à la fois identiques dans leur forme et différentiées par les couleurs : tel un « gang » prenant la pose, chacune décline des signes distinctifs particuliers tout en affichant leur appartenance à un groupe. Le « R » est néanmoins plutôt abstrait, issu de la conjonction de plusieurs styles appartenant à différentes traditions du graff : une langue confidentielle seulement lisible par les membres d’un « crew » aptes à la décode.
Le graffiti porte en lui-même le désir de produire des effets 3D, autant dans les motifs graphiques de perspective et mouvement que dans sa relation avec l’espace, cherchant à augmenter l’impression d’une invasion de la ville à travers les murs. Le passage d’un environnement urbain à l’espace de la galerie, active des modes de lecture qui se concurrencent : s’agit-il d’une sculpture au design high-tech, cherchant à effacer toute trace d’exécution manuelle, à l’image des minimalistes américains voulant mettre à distance l’expression démiurge d’une subjectivité ? Le minimalisme californien, en particulier, a souvent été désigné en tant que « cool art », de par sa distance émotionnelle et sa proximité avec la culture surf ou automobile. Le même pourrait être dit des sculptures de Frédéric Platéus, à la différence qui, semblant avoir ingéré un cocktail de drogues chimiques, et plus proches de la culture hip hop, la désignation «cool art» renvoie mieux à la possibilité de circuler parmi différentes communautés, s’imprégner d’un contexte et s’y faire accepter sans avoir besoin d’y adhérer, avant de repartir.
Pour le deuxième projet de Frédéric Platéus présenté à la galerie Buy-Sellf, il s’est introduit dans une communauté dédiée à la « customisation » de Rubik’s cubes, à partir de l’étude sur les possibilités de division d’un polyèdre selon des axes de section symétriques. Ses « Twisty Puzzle », dont des exemples de manipulation sont visibles sur YouTube, ressemblent fortement à une sculpture futuriste tombée d’un vaisseau spatial. Fasciné par le fait que les axes de coupe d’un Rubik’s cube ressemblent à la géométrie moléculaire, il a décidé d’appliquer une méthode analogue de découpe à des portraits (dans la série « scrambled »). Parmi les personnes ainsi diffractées, on y trouve autant l’astrophysicien Jean-Yves Plesseria, ainsi qu’une femme Lieutenant Général de l’armée américaine, ou le computer scientist Frank Tiex.
Malgré l’explosion visuelle, tous les éléments de l’image y sont, il suffit de les décoder — une stratégie de camouflage, dont il était déjà question dans une de ses précédentes sculptures, qui semble être une métaphore exemplaire pour son travail. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que l’artiste soit fasciné par des domaines de connaissance aussi spécifiques: qu’il s’agisse d’astrophysique, de graffiti ou d’histoire de l’art, le plaisir à regarder ses sculptures est indissociable du niveau de connaissance des règles et codes de chacune de ces zones de recherche et de notre capacité à circuler et à sauter les barrières entre elles.
1 « Unmonumental », du titre de l’exposition d’ouverture du New Museum à New York en 2007, catalogue publié par Phaidon.
Frédéric Platéus
Contemporary
Urban art, installation, new media, sculpture, mixed media
Belgian artist born in 1976 in Belgium.
- Localisation
- Liège, Belgium
- Website
- www.fredericplateus.com/
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