Grand Chemin
Grand Chemin enquête en voyageant à la rencontre des un·es et des autres, et utilise parfois leur crème hydratante le matin. Sa pratique démarre par des recherches sociales et théoriques, puis des textes qui peuvent ensuite devenir des dispositifs vidéo ou des interventions performatives. Elle se dit souvent que sa pratique est un prétexte pour réfléchir à ce que cela signifie d’être humain·e, et met en scène des personnages isolé·es dont le quotidien banal bascule dans l’étrangeté. Ces récits lui permettent d’archiver une histoire : celle des jeunes précaires et marginales·aux, celleux qui refusent le travail et cherchent à inventer de nouveaux modes de vie. Sa pratique de la vidéo revendique une esthétique lo-fi, à cheval entre naturalisme documentaire et dérive narrative hallucinée. Si elle semble prendre l’image filmique comme prétexte à raconter des histoires, celle-ci est toujours située dans la marge d’existences fragiles et promeut un désir de survie créative qui politise le refus de participer à la société bourgeoise et « méritante ».
Dans ta vidéo, tu introduis des éléments de fiction dans un récit au premier abord très réaliste. Pourrais-tu nous parler de la façon dont tu brouilles la frontière entre le documentaire et la mise en scène ?
Comme dans la plupart de mes travaux, je mets en scène un personnage de narratrice dont le quotidien qui pourrait être banal paraît de plus en plus étrange. Je me focalise sur des détails infimes qui réapparaissent sans cesse de manière pesante et obsessionnelle et qui font basculer le récit dans une forme de science-fiction de l’intime. Plus le récit avance, plus on doute de la véracité des évènements, là où l’on pouvait croire à un portrait documentaire au départ. Nous pouvons toustes avoir des pensées irrationnelles, mais la narratrice en fait sa réalité. Ça me permet d’aborder des sujets qui me tiennent à cœur sans généraliser.
Quels sont les enjeux de créer sous un pseudonyme ? Comment as-tu choisi le tien ?
Avec les ami ·es qui m’entourent et avec lesquel.les je travaille régulièrement, nous utilisons et changeons souvent de pseudonyme. Je trouve qu’il y a quelque chose d’autoritaire dans le fait de faire de son identité un nom d’artiste. Je n’ai pas envie que la mienne soit rendue publique, et que l’on puisse un jour la chercher sur internet et l’associer à un travail. Quitte à créer un personnage, je préfère que le mien me laisse la possibilité d’être invisible et multiple. J’ai choisi Grand Chemin, qui me rappelle d’anciens récits d’aventures, et m’évoque les routes à partir desquelles je pourrai décider ou non de partir vivre dans la forêt.
Pourrais-tu nous parler de ta volonté d’impliquer le public dans ton œuvre ?
Je n’ai pas envie de proposer des travaux qui puissent être indifféremment transportés d’un espace d’exposition à un autre. Je réfléchis toujours au contexte dans lequel sont montrés mes travaux, qu’est-ce que ça produit que telle pièce soit montrée dans tel endroit, donc à chercher des dispositifs pour m’adresser au public, et jouer ensemble. Ça va de pair avec mon intérêt pour la mise en scène, j’essaye d’appliquer la logique de mes récits à la réalité, comme si l’histoire s’était répandue hors de la vidéo et qu’il y avait désormais des indices et messages laissés à votre intention à découvrir. Comme une envie un peu folle de manipuler la réalité, que mes mots soient suffisamment puissants pour réécrire le monde.
La Ferme du Buisson, texte et entretien publiés à l’occasion de l’exposition Les Sillons
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