Mohamed Kahouadji
Retrouvez aussi l’interview de Mohamed Kahouadji par Eric Loret pour Libération
Peintre, sculpteur, ex graffeur et chirurgien, Mohamed Kahouadji fait claquer histoires, portraits et animaux sous speed dans des toiles explosives. Biberonné aux couleurs saturées des étés d’Algérie, nourri d’électro, de cinéma et de philosophie, l’hypermnésique qu’il est, régurgite un mix ultra personnel de pop, de surréalisme et de maniérisme. Détournant les codes du portrait, de la peinture animalière, de la sculpture, il invente un vocabulaire singulier. Neuf.
Première étape dans sa construction d’artiste : le Tag. Process identitaire s’il en est, qui conduit à poser le nom que l’on s’est choisi sur tous les murs de la ville, le Tag est le premier niveau d’expression artistique d’une adolescence en rébellion. « On opérait le plus souvent à deux ou trois, mais parfois en bande, jusqu’à cinq ou six. On écoutait beaucoup de musique, mais il n’y avait à l’époque aucune approche transdisciplinaire ». Il est juste question de marquer son territoire.
Mohamed écoute du rap et de l’électro, prend ses distances avec la vie laborieuse que ses parents reconstruisent à Paris, loin d’une Algérie qui n’aime pas les Kabyles et les a obligé à fuir. Il dit sa révolte dans le métro, sur les wagons de RER, dans la rue, sur les toits que l’on aperçoit depuis le métro aérien. Il tague, il marque son nom de scène, son nom de Seine, « Bore », sur les murs de la ville. Sait-il à l’époque que le Bore est une substance considérée comme « hautement préoccupante en raison de ses propriétés néphrotoxiques » ? Sans doute. Rien n’échappe à ce feu follet urbain qui ne recule pas devant le risque physique pour un geste artistique.
Parallèlement, il dévore les romans graphiques de Jiro Tanigushi (Le journal de mon père), de Charles Burns (Black Hole) ou d’Enki Bilal (Bleu Sang). Il repère l’esthétique radicale des graffs du mouvement « Nu School » venu du Mexique, de l’Amérique latine et de Los Angeles. Son œil se forme à ce qui l’accroche et son Tag s’élabore. Il prend du volume, de la couleur. Il devient Flops, ces lettrages en forme de bulle, assez difficile à réaliser lorsqu’ils sont exécutés d’un seul trait, ou Bboys. Autant d’évolutions graphiques qui jalonnent classiquement le parcours des street artists. En prenant de l’ampleur, le résultat prend le pas sur le geste : « La question de l’esthétique s’est finalement vite posée » note Mohamed qui apprend en peu de temps à faire résonner couleur et espace.
C’est à ce moment que le Street Art devient une mode. Mohamed, qui fuit toute institutionnalisation, perçoit le danger d’être érigé au rang d’artiste officiel. Il choisit alors de tourner la page. « La dimension transgressive me motivait. Tant que cela restait de la contre-culture ou de la « sous-culture », j’adhérais pleinement au mouvement. L’institutionnaliser, c’était le tuer pour moi. » De cette époque, il garde le goût du trait, ainsi que l’habitude de confronter espace et couleur.
Fondu au noir. On retrouve Mohamed quelques années plus tard, devenu chirurgien. Abandonnant les bombes de peinture et les petits boulots, il a retrouvé le chemin des études. « Mes parents m’ont convaincu qu’il me fallait un métier. Et notamment un métier dans lequel mon nom, mes origines, ne posent pas de problème. » Un petit problème d’hexis relève Eric Loret dans une interview pour le journal Libération. Pas faux. Bourdieu figure au panthéon de Mohamed et ses origines algériennes, l’exil de ses parents en France, la perte de leur statut social, le poussent à s’interroger sur ses manières d’être, son rapport au monde, à la façon du philosophe-sociologue.
« La médecine n’a pas vraiment été un choix, se souvient Mohamed. La chirurgie non plus. Mais la chirurgie maxillo-faciale est instantanément devenue une évidence après avoir été en présence en salle d’opération de mon premier traumatisme balistique. » Difficile de trouver spectacle plus violent que celui que Mohamed découvre aux urgences lors de sa première intervention. « Cet homme avait posé un fusil contre son menton et appuyé sur la gâchette. Son visage était ouvert comme un livre. C’était d’une violence inouïe et je n’oublierai jamais l’ascenseur émotionnel que j’ai ressenti à ce moment-là. Je ne voyais pas comment on pouvait l’en sortir, mais il fallait essayer. Et à force de patience, nous avons tout remis en place, comme dans un puzzle. Un an et demi plus tard, on ne voyait plus de trace de l’accident sur son visage. »
Une démesure à la mesure de la personnalité complexe de Mohamed Kahouadji ? En tout cas, une révélation qui le conduit à faire sa thèse de médecine sur « Les canons de la beauté » et plus spécifiquement ceux en vigueur au moment de la guerre de 14. D’un côté l’ultra violence d’une guerre qui fait 9 millions de morts et 20 millions de blessés. De l’autre la démocratisation des miroirs de poche et de la photographie individuelle qui renvoient aux hommes l’image de leur inhumanité. Au centre la question de la représentation de la figure humaine et l’éclatement de tous les principes de représentation qui guidaient l’Art.
En guise de figure tutélaire de l’ouvrage, Otto Dix. Engagé volontaire, ce peintre allemand, a peint les horreurs vécues en tant qu’artilleur mitrailleur, pour tenter de les dépasser. Avec sa « nouvelle objectivité », il dit tout d’une esthétique fracassée.
L’ado graffeur a mûri. Son œil s’est nourri. Autodidacte, il s’est formé le regard à coup d’expositions, de monographies, de voyages et l’esprit à coup de lecture des philosophes. Le centre Pompidou est son repère, il en scrute toutes les expositions, Los Angeles 1970, Giacometti, Les Futuristes, Hitchcock, Francis Bacon… La Tate Modern devient son idéal muséal et Amsterdam lui offre Rembrandt et Van Gogh. « C’est quand je suis étudiant que je découvre le surréalisme, le pop art, la figuration narrative, le pop surréalisme… Magritte, Roy Lichtenstein, Jacques Monory ou des artistes plus atypiques, comme Mark Ryden. Musicalement, je me nourris d’électro (DJ Mehdi, Justice, Air). Et les cours d’Zthique me guident vers les lectures des travaux de Boris Cyrulnik, Pierre Bourdieu et Michel Foucault ».
Il est désormais prêt à développer son œuvre. Toiles narratives, portraits et portraits animaliers, sculpture… La recette du cocktail est unique. Elle explose le cadre aujourd’hui.
Charlotte Montpezat, Historienne de l’art, Huffington Post
Mohamed Kahouadji
Contemporary
Drawing, painting, sculpture
French artist born in 1979 in Sidi M'Hamed, Algeria.
- Localisation
- Saint Nazaire, France
- Website
- www.thugsandprincess.com
- Themes
- Peinture / sculpture