Sylvain Couzinet-Jacques
« The near, the low, the common » est une formule que Sylvain Couzinet-Jacques emprunte à Emerson dans un discours, American Scholar (1837), manifeste qui réformera la littérature américaine en forgeant une culture entière par l’attention portée au familier, à l’insignifiant, à l’habituel. C’est ainsi que le nouveau continent aurait rompu avec le vieux monde.
Les émeutiers, l’orage, le silence.
Le paysage est là, mais lointain. Et c’est avec cette distance qu’affleurent sur la surface pelliculée de couleurs les horizons et scènes désertées des photographies de Sylvain Couzinet-Jacques. Éprises de ce reflet immersif, les images fixent une inquiétude. La crise à venir ? La difficulté d’exister à la surface ? Le latent de l’événement ? L’atmosphère est froissée, orageuse, étouffée des ombrageuses aberrations chromatiques. Tout est ralenti.
Alors ce qui apparait dans ces images semble familier, déjà-vu, reprisé-même : décors de ce qui est perdu, entropies classiques, photographiées, qui constituent le vocabulaire spécifique d’une anticipation sur les lointains, nouveaux. L’ensemble fixe une déambulation mentale, parcours sans écart entre l’Amérique et l’Espagne. Les lieux s’annulent.
Sylvain Couzinet-Jacques capte une déliquescence urbaine. Jamais de centre-ville. Car ce sont bien les marges qui le concernent. Si la lisière des territoires demeure un motif, récurrent, la frontière du visible elle, est constitutionnelle. Trop sombres, trop claires, trop grises, ses photographies freinent l’immédiateté de la reconnaissance pour nous retenir davantage auprès d’elles, et prolonger le flirt. L’extravagance d’une luminosité que le photographe emploie afin de rendre plus élastique, la durée de l’étreinte.
Les images ameutent le regard. Il y a quelque chose d’une séduction inquiète. En premier plan, ces nuages troubles stagnent devant la scène. Au-dessous de ces filtres spécifiques, la surface du papier impressionné est grisée. Incertitude du visible. Spéculations multiples, symptôme d’une crise et des difficultés de saisir ce qui advient.
La foule, le mouvement, l’attention, les surexpositions seraient autant de malfrats, d’infractions et troubleraient la perception. Filtres indésirables alors ? Par renfort au contraire et comme appui stratégique, Sylvain Couzinet-Jacques empêche l’émeute du banal, déjoue la crise d’une perception manquée, en distillant par nappes successives les outils visuels qui, attention portée aux dispositifs sensibles, accompagnent le spectateur.
The distant, the high, the specific.
Et d’emblée, Sylvain Couzinet-Jacques bouscule l’appréciation de cette première exposition, en froissant le cliché inaugural. La crise est passée, finalement. La suite de la circulation se développe alors sobrement, en une partition murale. Le panorama irrégulier fragmente un grand ouest impossible, où rien ne fait localisation: tout est trop loin, trop haut, trop spécifique.
L’horizontalité décousue, dégagée, de l’installation des photographies classiques protégées par ces leurres teintés, d’UV et de fards soutiennent le regard. Rien n’y fait. Les rebuts architecturaux de l’Espagne irradiée comme le vide desséché de cette Amérique rompue disent le paradoxe d’un abandon net. L’image à l’abri, l’esclandre en surface, le sujet au repos.
À écouter l’artiste, pour atteindre le cœur de son sujet, il faudra le briser.
Sylvain Couzinet-Jacques
Contemporain
Installations, photographie, vidéo
Artiste français né en 1983.
- Localisation
- Paris, France
- Site Internet
- couzinetjacques.com