2 en 1

Exposition

Peinture

2 en 1

Passé : 22 novembre 2011 → 23 février 2012

Le goût du neutre en peinture

L’amateur d’art distrait qui croisera les œuvres de Monique Moreira aura vite fait de les ranger dans une catégorie bien connue : Pop Art. Et de peut-être vite passer son chemin.

C’est assez compliqué, parce que, du pop, dans l’œuvre de Monique Moreira, naturellement il y en a. Son répertoire est analogue à celui des artistes britanniques : emballages industriels des produits de consommation courante, signalétique urbaine, panneaux publicitaires … Mais les ressemblances — ce qui est de l’ordre du connu — comptent dans ce cas moins que les différences.  Ce qui frappe d’abord, dans les tableaux de Monique Moreira, c’est une forme d’humilité qui cadre mal avec l’interprétation qu’on fait habituellement du Pop Art comme éloge ou critique virulente de la société de consommation. Il y a quelque chose de franciscain dans la manière artisanale qu’elle a de très méticuleusement recouvrir ses tableaux de couleur, sans virtuosité apparente, mais à la perfection, comme si elle ne s’autorisait d’autre talent que la patience — c’est-à-dire précisément le talent des humbles, celui des dentellières et des moines copistes, des ébénistes et des tapissiers, à l’opposé de la désinvolture conquérante des artistes qui aspirent à s’élever ostensiblement au-dessus de la condition d’artisan. Elle se place vis-à-vis de l’imagerie industrielle qu’elle copie, et qui est évidemment produite mécaniquement. Monique Moreira semble s’échiner à reproduire à la main des images mécaniques sans qu’aucun indice vienne trahir ouvertement la trace de la main, et sans parvenir tout-à-fait cependant à la faire disparaître.

Mais ce mouvement de retrait n’aurait probablement aucun sens face à ce que sont aujourd’hui majoritairement les images industrielles photographiques, brillantes, léchées, sensuelles, et sophistiquées dans la très contestable fonction qui est la leur d’attirer le chaland — c’est-à-dire de lui vendre ce dont il n’a nul besoin. Monique Moreira choisit à dessein des images pauvres, en tout cas ce qui subsiste d’images pauvres dans l’univers de la marchandise reine. Ses emprunts à la signalétique urbaine et à la publicité se font toujours du côté le plus rudimentaire : pictogrammes conçus pour être aisément déclinés, fonds d’affiches préfabriqués pour soldes sauvages, slogans pour étals de marchés. Pas de plaidoyer pour une réhabilitation, pas d’éloge ou de dénonciation dans les tableaux de Monique Moreira — juste le constat neutre d’un être-là des choses les plus anodines parmi celles qui entourent un citadin d’aujourd’hui. Un constat sans bavure : mauvais jeu de mots, sans doute, s’agissant d’une peinture à la netteté en effet irréprochable, mais c’est pourtant avec une expression assez proche que Roland Barthes s’efforçait de définir l’étonnante forme brève du haïku, si déroutante pour les occidentaux avides de symboles, d’allégories, et d’intentions — une écriture « sans bavures ni interstices », ni bien entendu fioritures, simple et coupante comme une note unique délicatement plaquée sur le meilleur piano. Et s’il y a quelque chose à comprendre de la peinture de Monique Moreira, c’est bien qu’il n’y a rien à y comprendre de plus que cela, que la parfaite adéquation de leur modestie à la modestie de ce qu’ils représentent. La simplicité, quand elle sonne juste, n’est pas autre chose que de la complexité distillée — raffinée, au sens chimique du terme. La tradition du haïku en est le meilleur exemple. Et la peinture de Monique Moreira atteint à cette admirable simplicité, qui n’est pas faite de manque d’imagination, comme le pensera peut-être l’amateur d’art distrait colleur d’étiquettes (tant pis pour lui), mais de patience et de longueur de temps, ramassées en une forme aussi économe que discrète.

Didier Semin
Galerie Schirman & de Beaucé Galerie
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