Elsa Sahal

Exposition

Céramique

Elsa Sahal

Passé : 10 novembre → 22 décembre 2012

« Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau ».

Paul Valéry, L’idée fixe, 1932

Ce que l’on ne devine pas, à voir — ce qui, dans le cas des pièces d’Elsa Sahal, équivaut presque à toucher — les céramiques présentées dans cette troisième exposition personnelle à la galerie Claudine Papillon, c’est que leur lustre minéral, leur poids tangible, l’évidence de leur présence, sont le fruit d’un travail du mou, du fragile, de l’orbe. Pour en dire plus, leur fabrication est une lutte de l’intellection manuelle contre l’effondrement.

La terre, avant de vivre les cuissons consécutives qui lui donnent cette fixité sensuelle où la vision du chaud (des teintes, des formes) le dispute à la sensation du froid (de la matière), est un élément fragile. Elsa Sahal la travaille par plaques, c’est-à-dire qu’elle en manipule de vastes feuilles dont l’épaisseur est conditionnée par les exigences qu’a ce matériau pour tenir, donc pour : faire corps avec lui-même. Sans ce respect des lois physiques, il y a pliure, cassure, effondrement. Sans, donc, l’équilibre des forces en présence — les ligaments, les muscles et la pensée de l’artiste / le poids, la densité, la texture du grès ; le néant se réinstalle au centre primitif de la création en acte.

Cette duplicité dûment placée dans les enjeux du faire, on en comprend les aboutissants à livre ouvert dans son résultat. Elsa Sahal nous met face à trois registres formels distincts dont chacun propose un examen de la figuration divisée — égal donc, à « racine carrée de la représentation ».

Ses Arlequins aux couleurs tendres, fléchis par le tracé du motif de losanges dans leur chair érigée, sont aussi précieux, dorés à la feuille, qu’ils sont misérables dans leur être-saltimbanque. Un arlequin, ce n’est pas sérieux, c’est sans feu ni lieu — hors de la prestigieuse référence à la peinture — c’est nomade. Il y a là du sans-origine, du SDF (Sans Définition Ferme, Sorte De Folie, Solide Du Flexible), du juif errant avec ses histoires meschugge1 et sages. Mais ces arlequins-là sont sans tête, et au contraire de certains Saints de la statuaire d’église, ils ne la portent même pas sous le bras. Sans tête, mais pas sans queue.

Aussi noirs que ces figures-là sont pastel, aussi sobres qu’elles sont exubérantes, les Autels en sont le contrepoint musical, la basse continue. Ralenti fulgurant à leur vue, on change de temporalité, le voyage s’interrompt face au support de réflexion qu’offrent leurs fragiles torsions turgescentes, leurs embranchements métaphysiques, leurs minuscules accessoires allégoriques. L’artiste les a conçus au moyen des gestes les plus élémentaires : rouler, creuser ; et comme de juste, des vanités sont sorties de cette économie de moyens. On peut se plonger dans leur contemplation comme on faisait, enfant, devant les pierres de rêve soclées dont l’échelle était multipliée par cent, par mille, par le regard imaginant. Ou encore comme dans les cabinets de curiosités dès leur début, on comparait les entités chimériques mais bien réelles que la nature opposait à la fierté d’une culture en plein essor.

Enfin, les Équilibres, emboîtements virtuoses de pesanteurs et de tensions, recomposent l’organisme humain que la modernité s’est employé à décomposer. Telles les lettres d’un palindrome, les éléments distincts de corps de chair arrêtés dans leurs trajectoires s’agencent pour donner la preuve d’un élan simple : le réalisme d’Elsa Sahal n’est pas dans une obédience à la doxa formelle. Il est dans sa fidélité temporelle au ressenti des organes, dans son désir ardent de rencontrer l’inconnu, l’épreuve, dans son toucher qui dicte un son à la matière, l’écoute et se laisse guider.

À l’étage de la galerie, on peut voir l’exquise esquisse de la Fontaine qu’Elsa Sahal a pensée et réalisée pour les Tuileries dans le cadre de la FIAC hors-les-murs. Travail conçu pour le parc jumelé à l’histoire archéologique de celui-ci, et aux trouvailles merveilleuses qu’ont occasionné ses fondations initiales, elle rencontre de toute évidence l’histoire de la céramique depuis Bernard Palissy, fondateur d’une pratique pré-moderne de la céramique et inventeur d’une esthétique animalière débordante et visionnaire dont Elsa Sahal mérite de se déclarer héritière.

Éléonore Marie, octobre 2012

Elsa SAHAL — Née en 1975, elle vit et travaille à Paris. Diplômée de l’École des Beaux-Arts de Paris en 2000. En 2007, elle est lauréate du prix de la sculpture contemporaine de la Fondation Fracesco Messina (Casabeltrame, Italie) et réalise une série de pièces à la Manufacture Nationale de Sèvres où elle est en résidence pendant deux ans. La Fondation d’entreprise Ricard lui consacre en 2008, une exposition personnelle et elle obtient le prix MAIF pour la sculpture. En 2009, elle est accueillie comme professeur invitée à Alfred University, New York State College of Ceramic.

1 meschugge : fou, dément (terme présent en yiddish, allemand, alsacien, et sous une forme légèrement infléchie en néerlandais)

Galerie Claudine Papillon Galerie
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