Abraham Poincheval — Walk on Clouds

Exposition

Vidéo

Abraham Poincheval
Walk on Clouds

Passé : 7 novembre → 24 décembre 2020

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« J’étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie : Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité ! »1

Henri Michaux

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Dans son recueil de poésie intitulé Lointain Intérieur et paru en 1938, Henri Michaux fait entrer son personnage dans une pomme. Forme contractée de l’infini, la pomme apparaît ici comme un espace du dedans acquérant une dimension nouvelle : celle du temps, du refuge bienfaisant, de l’isolement rassurant et de la réduction de l’espace. C’est un peu à la manière d’Henri Michaux qu’Abraham Poincheval, avec tout le sens de l’humour et de l’absurde qui caractérise sa pratique artistique, se met en scène à l’intérieur d’un animal, d’une ruche ou d’une pierre. Pour sa performance Ours, présentée en 2014, il a ainsi décidé d’habiter pendant treize jours l’intérieur d’un ours naturalisé et installé dans le musée de la Chasse et de la Nature à Paris. Plongé dans un état de quasi hibernation due à l’exiguïté du ventre de l’animal et à l’absence de lumière naturelle, il pousse à l’extrême la performance en mangeant la nourriture habituellement consommée par l’ursidé.

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Vue d’exposition Abraham Poincheval, Walk on Clouds, Semiose, 7 novembre — 24 décembre 2020 Photo A. Mole. Courtesy Semiose, Paris.

« Quand j’arrivais dans la pomme », écrit Michaux, « j’étais glacé ». Isolement et voyage intérieur se retrouvent dans la performance d’Abraham Poincheval intitulée Pierre, présentée en 2017 au Palais de Tokyo, et pour laquelle une pierre calcaire a été creusée en son centre pour épouser et recevoir le corps de l’artiste. Pareillement, lorsqu’il décide d’habiter une réplique de « l’homme-lion », fameuse statue de la période aurignacienne et sorte de cheval de Troie pour l’artiste, la radicalité de l’expérience physique de l’enfermement est rehaussée par l’aspect rituel d’une claustration signifiant une entrée au cœur du monde.

L’œuvre d’Abraham Poincheval est certes celle d’un ermite claustrophile, mais elle est également celle d’un explorateur insatiable. Faisant peut-être écho au Mont Analogue, le roman inachevé que l’écrivain René Daumal rédigea entre 1939 et 1944, l’artiste semble être à la recherche à la fois d’un centre original, d’un monde, d’un arbre sorti de terre et gagnant le ciel, et d’un mont sacré. C’est cette idée même de la possibilité symbolique d’une communication avec l’au-delà qui parait fonder à la fois le roman de l’écrivain et l’œuvre de l’artiste. L’ascension fictive de la montagne sacrée pour Daumal, tout comme les conquêtes invisibles pour Poincheval procèdent de la progression spirituelle de leurs auteurs, voyage initiatique vers un mystérieux et invisible sommet, objet de tous les fantasmes. Ainsi, pour sa performance intitulée Gyrovague (2011), qui puise son nom dans les pèlerinages des moines chrétiens, vagabonds et solitaires, qui se déplaçaient d’un monastère à l’autre sans jamais prendre racine, l’artiste a décidé de traverser les Alpes, de Digne-les-Bains à Caraglio, en poussant un grand cylindre métallique, son rocher de Sisyphe dans lequel il s’abrite. Dans sa vidéo de 2019, Walk on Clouds, Abraham Poincheval arpente les nuages, accroché à une montgolfière qui en surplombe la canopée, et explore un ciel mouvant et teinté de couleurs psychédéliques. Il est ici question de la conquête d’un territoire dématérialisé, dont la projection d’un imaginaire fantastique évoque étrangement l’adaptation cinématographique du Mont Analogue par le réalisateur Alejandro Jodorowsky, La Montagne Sacrée (1973).

« Les hommes-creux habitent dans la pierre, ils y circulent comme des cavernes voyageuses. Dans la glace ils se promènent comme des bulles en forme d’hommes. Mais dans l’air ils ne s’aventurent, car le vent les emporterait. Ils ont des maisons dans la pierre, dont les murs sont faits de trous, et des tentes dans la glace, dont la toile est faite de bulles. Le jour ils restent dans la pierre, et la nuit errent dans la glace, où ils dansent à la pleine lune. Mais ils ne voient jamais le soleil, autrement ils éclateraient. »2

Martha Kirszenbaum

1 Henri Michaux, « Entre Centre et Absence », in Lointain Intérieur. Poésie / Gallimard, 2003.

2 René Daumal, Le Mont Analogue, L’Imaginaire / Gallimard, 2017.

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Martha Kirszenbaum (née en 1983 à Vitry-sur-Seine) est une commissaire d’exposition et critique d’art basée à Paris et à Los Angeles. Elle est diplômée en histoire politique et cultural studies de Sciences Po Paris et Columbia University à New York. Elle est la commissaire du Pavillon Français de la Biennale de Venise en 2019, choisie par Laure Prouvost. Martha Kirszenbaum a fondé et dirigé Fahrenheit, un centre d’art contemporain et programme de résidences à Los Angeles (2014-17). Elle a précédemment travaillé comme commissaire associée à la Kunsthalle de Mulhouse (2014), commissaire en résidence au Belvedere Museum/21er Haus à Vienna (2012) et au Centre d’Art Contemporain de Varsovie (2010). Elle a également travaillé au New Museum de New York (2008-10), au Cabinet de la Photographie du Centre Georges Pompidou (2007) et au Département Media et Performance du MoMA (2006-07). Elle a par ailleurs organisé des expositions, projections, performances et débats dans des institutions internationales telles que ICA à London, Palais de Tokyo à Paris, Astrup Fearnley Museet à Oslo, Kunstall Stavanger, Beirut Art Center, Fondation Ricard à Paris, 221A à Vancouver, Kadist Paris et San Francisco, Pejman Foundation à Tehran, Los Angeles Contemporary Exhibitions, Biennale de Marrakech, Biennale d’Istanbul, et Austrian Cultural Forum NY. Elle contribue régulièrement à Flash Art, Mousse, CURA et Kaleidoscope entre autres publications, et a animé des séminaires sur les pratiques curatoriales à UCLA, Université Paris VII et Parsons Paris. Elle a fait partie du jury de Pavillon Estonien de la 57e Biennale de Venise, du Zoom Art Award, du Prix de la Ville de Marseille, de la Jan Van Eyck Academy, et de la Cité Internationale des Arts.

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