Amélie Bertrand, Super-Cannes
Exposition
Amélie Bertrand, Super-Cannes
Passé : 4 septembre → 2 octobre 2021
Indépendamment du lieu auquel il fait référence, le concept de « Californie » existe sous une forme publicitaire partagée à travers le monde entier. La mythologie associée à un Los Angeles au climat tempéré et en permanence ensoleillé, nanti de palmiers et de plages, suggère un style de vie rêvé, à même de promouvoir toutes sortes de produits. Amélie Bertrand traque les artifices de l’idylle californienne, notamment ses dégradés de couleurs, son feuillage tropical et les lignes modernes et épurées de son architecture. Les œuvres sont initiées sur l’ordinateur, dans l’espace virtuel où circule cette imagerie. Amélie Bertrand utilise des logiciels tels que Photoshop et InDesign pour construire minutieusement la chambre d’écho dans laquelle ces motifs vibrent, se réfractant très légèrement chaque fois qu’ils circulent et sont transposés dans de nouveaux contextes, comme celui de Paris où l’artiste vit et travaille. C’est ainsi que naissent les qualités à la fois séduisantes et sinistres que de nombreux critiques ont identifiées dans ses œuvres.
Dans ces peintures, surtout les plus récentes, nous sont proposés des tropismes de l’imaginaire californien, extraits et isolés à notre attention. Les tableaux sont construits à partir d’un ensemble de surfaces planes sur et dans lesquelles l’imagerie est intégrée de manière ambiguë. Par exemple, dans Candyshop (2021), des cerises méticuleusement rendues — mais stylisées à la manière de celles des machines à sous ou des papiers de bonbon — flottent comme si elles étaient à la fois sur et dans des surfaces capitonnées, semblables à des tissus d’ameublement. Ces zones bouchent les fenêtres du bâtiment que l’on suppose être le « magasin de bonbons » du titre, empêchant l’accès à celui-ci. Elles font simultanément la réclame de ce que nous sommes censés désirer et en bloquent l’accès.
Dans d’autres œuvres, les motifs tropicaux sont traités à travers cette vision californienne internationalisée. Par exemple, Super-Cannes (2020) synthétise le Midi de la France, non pas dans sa spécificité, mais par le biais de carreaux quadrillés, de colliers de fleurs en plastique et de feuilles de palmier génériques que nous nous attendons aujourd’hui à trouver près de n’importe quelle plage dans le monde entier. Dans d’autres tableaux encore, les formes architecturales semblables à celles d’un spa (qui ont également commencé à apparaître sous forme de sculptures) se déploient vers le spectateur, envahissant l’espace pictural. Les images s’accrochent à ces plans, piégées comme des ombres passant sur leurs surfaces, les chaînes des colliers de fleurs s’aplatissant sur elles comme pour les épingler. Dans une série de tableaux intitulée The Swamp Invaders (2021), les nénuphars signalent un possible retranchement de la nature dans un espace artificiel, semblable à un bassin. Cela rend explicites les implications écologiques, évoquées dans d’autres œuvres, de cette culture du jetable et de l’interchangeable.
Dans la plupart des tableaux d’Amélie Bertrand, les surfaces fonctionnent non seulement comme des écrans, mais aussi comme des miroirs. Par exemple, dans Candyshop, les cerises se trouvent à la fois dans les vitrines et comme reflétées sur le sol environnant, créant une ambiguïté : ces surfaces génèrent-elles les images ou les renvoient-elles simplement d’une source extérieure ? La qualité de finition parfaite de la surface peinte vient souligner ce phénomène. Après avoir été composée sur ordinateur, l’image est minutieusement exécutée à la peinture à l’huile — chaque aplat de couleur étant délimité par du scotch, de sorte qu’il n’y a ni superposition ni dégradé — dans un processus qui, par conséquent, peut prendre des semaines. L’uniformité lisse de la surface fait référence à l’absence de raccords de l’écran, tout en rappelant les finitions vernies des maîtres anciens, l’aspect brillant en moins.
La dichotomie de l’écran et du miroir est un malaise bien identifié de notre monde contemporain. Depuis longtemps déjà, nous vivons consciemment dans un monde de signes. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si nous y naviguons de notre plein gré. Ou bien si nous sommes simplement les destinataires passifs de ce qui nous est livré, sélectionné par les calculs implacables d’algorithmes conçus pour transformer nos moindres désirs et impulsions en données exploitables. Le travail d’Amélie Bertrand suggère comment nous pourrions aborder l’attraction et la répulsion simultanées de cette dynamique, en trouvant un espace pour réaffirmer notre capacité d’action, comme les nénuphars dans The Swamp Invaders qui ont repris le contrôle de leur monde aquatique.
Alex Bacon
Alex Bacon est un historien de l’art, conservateur et éditeur basé à New York. Jusqu’à récemment, il était conservateur associé au musée de l’Université de Princeton, où il a participé au programme d’art public et organisé des expositions dans l’espace hors-les-murs du musée, Art@Bainbridge. Il est cofondateur de Circle Books, une maison d’édition spécialisée dans les publications de recherches en art. Il a récemment publié un essai sur Avery Singer dans KALEIDOSCOPE #35 (automne/hiver 2019/20), « The Ethics of Martin Barré » pour Matthew Marks Gallery (New York), « Niele Toroni’s Extendability » pour le Swiss Institute de New York. Parmi les publications à venir figurent « The Black Paintings : Ad Reinhardt » pour la galerie David Zwirner (2021) et un catalogue sur Channa Horwitz (éditeur avec Ellen Blumenstein et Nigel Prince) pour Vancouver : Contemporary Art Gallery (2022).
Horaires
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