An-My Lê
Exposition
An-My Lê
Passé : 20 avril → 27 mai 2017
« Mon attachement à l’idée du paysage est une extension directe d’une vie en exil. »
An-My Lê
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La Galerie Marian Goodman présente la première exposition d’An-My Lê en France. Née à Saïgon en 1960, An-My Lê passe plusieurs années de son enfance à Paris, ville où ses parents avaient vécu et s’étaient mariés à la fin des années 1950. En 1975, à la suite de la guerre, sa famille quitte définitivement le Vietnam pour se réfugier aux Etats-Unis. Au milieu des années 1980, elle travaille en France en tant que photographe pour les Compagnons du Devoir. Pendant quatre ans, elle documente des restorations architecturales et inventorie des monuments historiques comme l’avait fait en son temps Eugène Atget. Cette expérience fondatrice, tout comme son histoire personnelle, marque son œuvre profondément humaniste. « J’aspire à atteindre une certaine objectivité lyrique. Il s’agit plus d’observer des types de comportement que de s’attacher à l’un en particulier. Ce qui permet peut-être une meilleure compréhension de l’histoire et de la culture. »
Pour sa première exposition personnelle à Paris, An-My Lê présente The Silent General, un ensemble de nouvelles photographies en couleur, dévoilé pour la première fois il y a quelques semaines à la Biennale du Whitney Museum de New York (jusqu’au 11 juin 2017). Elle montre également des œuvres en noir et blanc issues de ses précédentes séries : Viêt Nam, Small Wars et 29 Palms.
Le nouveau projet d’An-My Lê, The Silent General, emprunte son titre à un chapitre du livre de Walt Whitman Specimen Days consacré au général et homme d’état américain Ulysses S. Grant. Dans ce récit autobiographique et poétique de 1882 où se mêlent histoire personnelle et récit national, l’auteur livre ses mémoires et ses souvenirs de l’époque de la guerre de Sécession (1861-1865). Les sept photographies prises ces deux dernières années dans divers lieux de Louisiane, à La Nouvelle Orléans et aux alentours, invoquent l’esprit du livre de Whitman. Les images sont des observations de divers aspects contemporains de la vie au sud des Etats-Unis. Loin de l’esthétique du reportage photographique où le regard se place toujours au plus près de son sujet, celui d’An-My Lê se tient à distance, dans la tradition de la photographie de paysages du 19e siècle. Des allusions au passé s’insinuent dans les paysages ; comme ce tournage de film ayant pour toile de fond une célèbre bataille de la guerre de Sécession, ou encore ce monument érigé à la mémoire d’un général de l’armée confédérée. D’autres images montrent des motifs archétypaux de l’histoire et de l’héritage du Sud, comme un champ de canne à sucre, une sortie de messe ou des travailleurs anonymes à la tâche. The Silent General révèle à quel point l’histoire continue de marquer un territoire et la société qui l’habite, et réflète bien l’ambition d’An-My Lê : « Au lieu de rechercher le réel, j’ai commencé à retenir l’imaginaire. Le genre du paysage ou celui de la description des activités humaines dans le paysage se prête bien à ce type de réflexion. »
29 Palms (2003-4) et Small Wars (1999-2002) forment restrospectivement avec Viêt Nam (1994-1998) une sorte de trilogie. 29 Palms a pour sujet le camp d’entraînement militaire du corps des Marines américains installé dans le désert californien. An-My Lê y a suivi pendant de longs mois les exercices de soldats avant leur envoi en mission en Irak ou en Afghanistan. Avec une chambre grand format 5×7 pouces, Lê saisit les soldats dans des moments d’attente, de répit, mettant davantage l’accent sur les décors naturels dans lesquels ils évoluent, dans la lignée des premiers reporters de guerre tels que Roger Fenton qui, pendant la guerre de Crimée (1853- 1856), avait choisi de ne prendre du conflit que des clichés « décents », c’est-à-dire dépouvus de violence ou de scènes de combat. An-My Lê photographie surtout une forme de mensonge, de fiction collective. Le vaste site d’entraînement de 29 Palms, bien qu’utilisé par l’armée américaine depuis les années 1960, présente de troublantes similarités topographiques et climatiques avec certaines régions d’Irak ou d’Afghanistan, constituant ainsi un étrange théâtre de guerre pour les conflits du Moyen-Orient. La photographe fait apparaître le camp en tant que simulacre, au sens où Jean Baudrillard le définit : « Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité — c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai ».
La série Small Wars joue également sur une ambiguité et un visiteur non averti pourrait se méprendre sur la nature des images. An-My Lê s’est « infiltrée » pendant quatre étés consécutifs au sein d’un groupe d’individus dont le passe-temps consiste à recréer le plus fidèlement possible des scènes de la guerre du Vietnam en Virginie et en Caroline du Nord. Pour pouvoir avoir accès à leur « terrain de jeu », elle a participé activement à leurs rencontres et entraînements, acceptant d’incarner différents rôles « ennemis » déguisée en vietcong ou en soldat de l’armée nord-vietnamienne. Les photographies ne portent aucun jugement sur ce hobby ni sur ces hommes qui le pratiquent, mais questionnent la manière dont une guerre peut être rememmorée. « Beaucoup de gens trouvent inquiétante l’attitude des adeptes des jeux de reconstitution de la Guerre du Vietnam. Pourtant, comparativement, l’obsession d’Hollywood pour tous ces films mettant en scène inlassablement cette guerre ne dérange personne. A mon avis, la fascination réside dans le dialogue que ces deux mondes tissent entre expérience et chaos versus mémoire et fabulation ». Comme dans ses autres séries, une attention particulière est portée sur l’environnement naturel. « En collaborant avec les “reenactors” de la Guerre du Vietnam j’ai été fascinée par l’importance du paysage en tant que signification stratégique. Chaque sommet de colline, virage, groupe d’arbres ou champ suggérait une possible ambuscade, échappatoire, zone d’aterrissage ou de campement ».
L’exposition se poursuit à la librairie Marian Goodman avec le premier projet photographique d’An-My Lê consacré au Vietnam, entrepris dix-huit ans après son exil. Les compositions se situent, non plus au croisement de la fiction et de la réalité mais plutôt à l’intersection de deux réalités, celle du pays et celle des souvenirs d’An-My Lê. Si l’idée première était de retourner sur les pas de son enfance et de réaliser des natures mortes autobiographiques, le projet évolue rapidement vers un portrait sensible du pays qu’elle sillone de villes en campagnes, du nord (Hanoi et les terres d’origine de sa famille maternelle) au sud (Hô-Chi-Minh-Ville, anciennement Saïgon la capitale où elle est née).
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An-My Lê vit et travaille à Brooklyn, New York. Diplômée en science de l’Université de Stanford, elle a également obtenu un Master of Fine Arts à Yale University School of Art. Depuis 1999 elle est professeure associée au département de photographie du Bard College à New York. De nombreux musées aux Etat-Unis lui ont consacré des expositions personnelles, c’est le cas du Baltimore Museum of Art en 2013, Dia: Beacon en 2006-2007 ou encore du MoMA PS1 Contemporary Art Center à New York en 2002. De 2006 à 2008, son expositon « Small Wars » a été présentée dans une dizaine de musées aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ; au San Francisco Museum of Art et au Museum of Contemporary Photography, Colombia College, à Chicago entre autres. En France, son travail a pu être remarqué dans l’exposition collective Topographies de la Guerre au Bal à Paris en 2011.
An-My Lê a reçu de nombreuses récompenses : en 2012 elle remporte le John D. and Catherina T. MacArthur Foundation Fellowship, en 2010 le Louis Comfort Tiffany Foundation Award ou encore le John Gutmann Photography Fellowship en 2004. Les photographies d’An-My Lê font partie des collections d’institutions internationales telles que le Metropolitan Museum of Art à New York, le Museum of Contemporary Photography de Chicago ou la Bibliothèque Nationale de France à Paris.
L’artiste
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An-My Lê