Anthony Lycett — Self Styled

Exposition

Photographie

Anthony Lycett
Self Styled

Passé : 9 janvier → 27 février 2016

La Galerie Isabelle Gounod a le plaisir de présenter la première exposition d’Anthony Lycett à Paris. Le travail de Lycett, photographe vivant à Londres, explore et dresse le portrait de la « sub-culture » londonienne et parisienne. Son approche analytique documente les formes d’auto-représentation qui élèvent le style au statut de culte. L’exposition offre un regard sur son œuvre la plus récente, qui fait suite à un travail de près de dix ans de capture en portraits d’individus issus de courants sociaux de l’époque actuelle.

La série « Self-Styled », débutée en 2008, comprend aujourd’hui plus de 200 diptyques représentant les excentriques, les dandys, les punks, les gothiques, les travestis et l’avant-garde de Londres et de Paris. L’usage de la tenue comme méthode de protestation politique est apparue en Angleterre au 18e siècle1. Le dandysme fut cependant un mouvement post-révolutionnaire qui concernait les membres de la classe moyenne aussi bien à Londres qu’à Paris et ce dès 1790. Initialement associé à la mode élégante et au langage raffiné «le dandysme, qui est une institution en marge de la loi, possède un code des lois rigoureux auquel tous ses sujets sont strictement soumis, mais leurs caractères individuels peuvent être ardents et indépendants» ainsi que le décrivit Baudelaire2. Sa description de la dichotomie inhérente au dandysme entre dissidence et appropriation, excentricité et uniformité, peut être appliquée par ailleurs, et bien plus tard, aux mouvements punks et gothiques, ainsi qu’aux travestis et aux mouvements de l’avant-garde : il s’agit là de moyens d’expression fabriqués pour repenser l’ordinaire et le fétichisme et visant à illustrer une perception plus large de la réalité, opérant dans les cadres périphériques de l’introspection. L’apparence raffinée du dandy a ainsi été associée à une indifférence affectée, semblable à l’image du hipster contemporain.

Si l’on connaît bien, parmi les dandys auto-proclamés, Oscar Wilde, Salvador Dali ou encore Andy Warhol, l’origine de ce terme remonte cependant au 12e siècle, quand apparaissent les cointerrels, dont le pendant féminin est connu sous le nom de cointrelles. On observe par la suite, au 19e siècle, une brève apparition de femmes dandys ou « dandizettes », surtout perçues comme des femmes s’habillant de manière trop sophistiquée et excentrique. En 1819, le roman « Charms of Dandyism » (Charmes du dandysme) fut publié par la chef de file des « dandizettes » Olivia Moreland, dont on pense qu’il s’agit en réalité du pseudonyme de Thomas Ashe.

Les sujets des diptyques de Lycett ne sont pas nécessairement les leaders ni même les archétypes d’un style donné. Ils reflètent la pluralité des individus au sein d’un « type » ainsi que la continuité de la rébellion esthétique, faite de répétitions, de singularités et d’habitudes sociales. Anthony Lycett se laisse guider d’un sujet à l’autre, traquant le prolongement de leur expression personnelle sur les réseaux sociaux et s’intéressant aux individus qui ont délibérément laissé leur style structurer tous les aspects de leur vie quotidienne. La seule direction formelle que Lycett se donne pour construire chaque ensemble d’images, est la mise en regard d’une tenue de « jour » et d’une tenue de « nuit ». Sans interrogation de leur part, ces sujets acceptent ce postulat et proposent facilement les deux tenues, coopérant alors inconsciemment suivant les coutumes prescrites d’une conscience accrue de soi en plein jour et de réjouissances libérales associées à l’obscurité nocturne.

De nombreux photographes ont développé des procédés ou des dispositifs pour saisir une expression authentique de leurs « sujets »: les « Go-Sees » de Juergen Teller, qui a photographié des personnes volontaires avant qu’ils ne pénètrent dans son studio ; Rineke Dijkstra, qui a photographié les « Los Forcados » à la sortie d’une corrida ou les « New Mothers » quelques instants après leur accouchement. S’il s’inscrit dans la lignée de ces formes liminales du portrait, le travail de Lycett n’utilise pas cependant d’élément de surprise ni d’exercices épuisants : ses sujets se mettent eux-mêmes en scène, conscients d’être photographiés par un professionnel. Cela dit, leur propre sens accru de la représentation nourrit également le sentiment de professionnalisme. Les dérapages perçus dans les expressions spontanées sont renforcés par un dispositif qui leur donne l’occasion d’être « pris au sérieux » ; à l’instar de ce dandy que nous décrit Baudelaire, il s’agit d’acteurs qui recherchent leur public. Lycett s’attache néanmoins à conserver le réalisme. Les imperfections apparaissent sur un fond blanc standard qui suggère un processus de légitimation que ses sujets accueillent favorablement. Malgré tout, ils se distinguent de ces modèles parfaits et lisses des couvertures des magazines. En combinant la description formelle et le portrait classique, Anthony Lycett révèle ce qu’il advient lorsque les styles archétypaux des cultures pop rétro et contemporaine sont effectivement assumées au quotidien par des personnes que certains pourraient prendre pour des « fanatiques ». Les mettant à l’aise en les invitant à porter leurs propres vêtements et à choisir leur propre pose, il les sort de l’obscurité vers la lumière du microscope. Alors qu’il émane d’eux le désir moderne d’être singulier, la force de leur sophistication excessive fait surgir d’autres questionnements sur la norme, les points de convergence culturelle et la consommation.

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1 Aileen Ribeiro, « On Englishness in dress » dans The Englishness of English Dress, Christopher Breward, Becky Conekin and Caroline Cox, ed., 2002.

2 Charles Baudelaire, recueil d’essais « Le Peintre de la vie moderne », 1863. Traduit par P.E. Charvet.

Ashlee Conery, Novembre 2015
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