Axel Pahlavi

Exposition

Peinture

Axel Pahlavi

Passé : 4 décembre 2021 → 22 janvier 2022

Peinture myriade.

La peinture d’Axel Pahlavi ressemble à une église sans toit ouverte sur le ciel et les intempéries. Une ruine qui se serait laissée envahir par la végétation. Elle est un réceptacle ouvert et poreux. Tel un socle qui tient mais accueille le foisonnement tremblant de la vie. Comme si l’artiste tentait de donner un visage au corps d’une peinture morcelée, tiraillée par des tensions schizophréniques. Le corps de sa peinture rassemble la multiplicité du corps du monde qui le traverse : myriade de vies, de rencontres, qui s’incarnent dans sa manière même de peindre. A l’image de la vie qu’elle reçoit, la peinture d’Axel Pahlavi se veut hétérogène, vacillante, changeante. Elle défie et le temps et le lieu, rassemblant l’ici et l’ailleurs, errant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.

Cette porosité de la peinture d’Axel Pahlavi est avant toute chose liée à une histoire intime et personnelle. Chrétien et croyant, né en Iran, Axel Pahlavi partage sa vie avec l’artiste Florence Obrecht, originaire de Metz, dont les parents se sont éloignés de la religion. De par leurs histoires et leurs lieux de vie, entre Paris et Berlin, entre la Lorraine et l’arrière-pays niçois, ce couple rassemble, dans la chair de leur amour comme de leur peinture, une myriade d’éléments hétérogènes, embrassant diverses cultures, identités, sensibilités, paysages, langages. C’est une même hétérogénéité qui caractérise les fondations de la peinture d’Axel Pahlavi, entre culture iranienne et européenne, traditions et modernités, réalisme concret et élan mystique, classicisme et expressionnisme. Les deux premières personnes qui lui ont enseigné la peinture sont Maître Behnam (peintre iranien, il réalisait des affiches pour le cinéma et a été formé par Kamâl-Ol-Molk, peintre de miniature persane, initié à l’art européen et ayant fréquenté l’atelier de Fantin-Latour) et sa grand-mère (formée dans une académie bourgeoise de Paris). Et l’on sait l’importance que joua, aux Beaux-Arts de Paris, ses études dans l’atelier de Vladimir Velickovic. Autant de rencontres et d’empreintes picturales dont l’œuvre d’Axel Pahlavi gardera la trace.

Mais cette porosité est aussi liée à l’histoire d’une génération. Né en 1975, Axel Pahlavi fait partie d’une génération qui chevauche et la fin d’un siècle et le début d’un autre. Il traverse une époque qui évolue vitesse grand V. Une époque qui semble n’avoir plus d’âge, plus de frontières. Hier le livre, aujourd’hui la vidéosphère, internet, Netflix et les réseaux sociaux. Les approches du monde, de la culture et du temps ont considérablement changé. La planète s’est ouverte à la mondialisation, le capitalisme et son consumérisme nous assaillent d’un flux interrompu d’offres et d’images. Tout est accessible, de n’importe où, n’importe quand. Et le grand art et les séries télévisées. Et les guerres et le désir d’immortalité. Nous basculons comme un TGV d’une idée à une autre, d’un ressenti à un autre, d’une image à une autre, d’une culture à une autre, d’une langue à une autre. Et nous n’attrapons au vol que des morceaux de ce nouveau monde. Morceaux de croyances et de désillusions, d’idéal et de perversion, de beauté et de laideur, de profane et de sacré, de désir et de renoncement. Axel Pahlavi fait partie d’une génération d’artiste qui a choisi d’affirmer la persistance de l’image peinte et dessinée. Et cette persistance n’a pu se faire qu’en faisant face à cet état morcelé du monde, assemblé, incarné, dans le corps de l’œuvre. Une œuvre du fragment et de la cassure, de l’hybridation et de la suture. Les espaces et les lumières, les manières et les écritures, les motifs viennent d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui : tous sont le lieu de tensions contradictoires, de sources hétérogènes, d’échelles et de perceptions multiples, d’âges et d’origines diverses.

Plus que jamais, la nouvelle exposition d’Axel Pahlavi, chez Isabelle Gounod, s’ouvre sous le signe de l’ouverture et de la porosité. Les œuvres présentées relèvent de diverses écritures. Ici, une manière très écrite, graphique, poussée, serrée, comme dans certains portraits ou grandes compositions allégoriques. Là, une écriture plus déliée, ouverte, floue, diluée, inachevée, dans des œuvres dont la plupart ont été réalisées sur le motif, dans l’arrière-pays niçois, à un moment où l’artiste se confronte à la puissance de la nature et à sa beauté fugitive.

Cette diversité des manières procède d’une multiplicité des outils, médiums, supports : lavis, gouache, crayon, huile, tempera, papier, bois, pinceau, aérographe…De même que l’hétérogénéité de la forme se nourrit d’un héritage hétéroclite. Ici quelque chose d’une mystique venue de l’Est, là un espace réel presque vulgaire plus proche de l’Ouest. Et s’il fait écho cette fois-ci au postimpressionnisme, aux nabis, à Vuillard, le travail d’Axel n’en porte pas moins la trace d’un goût permanent, ici, pour l’école italienne, là pour la peinture expressionniste contemporaine. Un apport qui se trouve mêlé à celui d’une culture populaire tout aussi fondatrice : on retrouve le goût de l’artiste pour l’art mineur des années 1970, la mauvaise illustration de séries B, l’héroic fantasy, le cinéma et la bande dessinée de science-fiction.

Tout revient, par cycles, comme un principe de spirales, d’éternel retour. Tout meurt et renait, par transformation.

Il y a, dans cette hétérogénéité, une tentative d’unir des sensations et des émotions contraires. Quelque chose de la vérité et du fantasme, du réalisme et de la naïveté, du beau et du mauvais goût, du rire et du tragique, du nocturne et du lumineux, de l’ordre et du chaotique. Quelque chose d’impossible qui tient d’une instabilité presque schizophrénique. Comme une obsession de maintenir à la fois une expérience allégorique et une relation très physique avec le réel. Quelque chose de mystique mais de très concret. Sorte de voyage spirituel, aérien, qui se nourrirait de la terre. De la terre, donc du corps.

Le grand tableau intitulé « Communion des Saints » représente quelque chose de cette tentative impossible. Il y a dedans quelque chose de l’ordre de l’inachevé et de l’irregardable. Commencée à la fin des années 1990 et poursuivie jusqu’à aujourd’hui par l’artiste, cette œuvre n’a pas de fin. Elle accumule les sens de lecture, bas, haut, droite, gauche. Elle est agglutinement de visages. Telle une multitude de polaroids formant une grille molle dont la structure peut faire écho au « Brooklyn Boogie » de Mondrian. Ces visages proviennent de sources diverses, des amis, des inconnus, des figures de l’histoire. Ils sont nés de procédés et de gestes divers, de matières et de couleurs diverses.

Il y a quelque chose de l’ordre de l’impossible et de l’irregardable, parce qu’Axel Pahlavi ne cherche pas à opérer un fondu de l’ensemble de ces visages mais plutôt à les accueillir et à les articuler ensemble, dans leur multiplicité. Réceptacle d’empreintes picturales, l’œuvre est aussi réceptacle de relations interpersonnelles. C’est par le corps d’Axel que tous ces visages existent. Sa main fait trace de tout ce qui l’a touché dans chacun de ces visages. Elle matérialise, elle incarne : la tendresse, l’amour, la douleur.

Il y a quelque chose de l’ordre de l’infini. Qui pulvérise le temps. Qui pulvérise le lieu. Une présence, un seul corps de peinture, qui nous regarde, qui avance vers vous.

Cette grille molle faite de multiples visages peut aussi se lire comme une grande bulle de bande dessinée. Comme si l’artiste, qui se représente assis, en bas de l’œuvre, donnait à voir une vision surgie de sa tête. Une vision de l’apocalypse qui procèderait du haut comme du bas, de la révélation comme du chaos. Une vision de nos schizophrénies intérieures.

Chose nouvelle, les autoportraits apparaissent en nombre dans cette exposition. Nés à nouveau de diverses manières, médiums et outils, ils sont habillés parfois de référents à la peinture ancienne, Gréco, Rembrandt, Friedrich, Manet. Nécessité de revenir à soi quand on perd pied, comme pour retrouver des racines, ces autoportraits sont un socle et révèlent tout ce qui fait la porosité de la peinture d’Axel. Il y a, dans l’intensité de leur regard qui vous habite, quelque chose d’interloqué. Une expression qui semble à la fois élever et enraciner votre corps, entre ciel et terre.

Concrète mystique, socle vacillant, magma poreux : la peinture d’Axel s’ouvre en nous telle une myriade libre et amoureuse.

Amélie Adamo, Paris, juillet 2021.

  • Vernissage Samedi 4 décembre 2021 14:00 → 20:00
03 Le Marais Zoom in 03 Le Marais Zoom out

13, rue Chapon

75003 Paris

T. +33 (0)1 48 04 04 80 — F. 01 48 04 04 80

www.galerie-gounod.com

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Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h
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