Beat Zoderer — Dans quelle mesure
Exposition
Beat Zoderer
Dans quelle mesure
Passé : 24 février → 28 avril 2018
La galerie Semiose présente en ses murs la première exposition parisienne de l’artiste suisse Beat Zoderer.
Formé au dessin d’architecture, Beat Zoderer (né en 1955 à Zurich) débute sa carrière d’artiste en 1979. Héritier de l’art concret, il chemine très naturellement depuis ses débuts au sein du constructivisme zurichois, où se sont distingués avant lui Max Bill puis Gottfried Honegger. Cependant, « dé-constructivisme zurichois » serait plus juste à propos de Beat Zoderer, tant ces filiations historiques s’estompent à mesure qu’il dé-construit et revitalise l’art concret par un minage subtil de sa sévérité, rationalité et perfectionnisme. Au lieu d’appliquer des structures méthodiques basées sur des systèmes répétitifs ou mathématiques, chaque œuvre de son corpus semble plutôt suivre un élément arbitraire, une logique interne qui progresse en funambule.
Signe d’une constante recherche, l’œuvre de Beat Zoderer procède par ruptures successives, justifiées essentiellement par des préoccupations de medium. Aux travaux sur papier des années 1970, succèdent au milieu des années 1980 des objets trouvés que l’artiste démonte et ré-assemble en des sculptures à poser, à mettre dans un coin ou à accrocher au mur, laissant inchangée l’énergie narrative qui se dégage de l’histoire des matériaux et leurs traces d’utilisation. À partir de 1990, son œuvre prend une nouvelle orientation avec l’utilisation de matériaux neufs, choisis dans des magasins de bricolage ou de papeterie.
Beat Zoderer fait preuve d’une rare agilité et inventivité dans les solutions formelles apportées à chaque contexte et dans ses choix toujours renouvelés et ajustés d’objets, d’échelles, de principes d’assemblages, etc. Les matériaux ne sont jamais employés pour leurs valeurs « sentimentales », mais uniquement pour leurs qualités intrinsèques de formes et couleurs, adhérant ici aux idées « concrètes ». « Le matériau vient toujours en premier1» affirme l’artiste ; matériaux ordinaires tels le contreplaqué, la laine ou la tôle, ou des articles de papeterie, classeurs, chemises en plastique, élastiques ou étiquettes, que Beat Zoderer déplace de la sphère du quotidien à la sphère artistique. Il réalise la réunion de l’art et de la vie en application des principes du manifeste de l’art concret « qui prend ce qu’il peut, pourvu qu’il contribue à propulser la vie, la vraie2». Toutefois, l’emploi de ces matériaux souvent dépréciés ou vils, tend un miroir ironiquement critique à l’exigence des artistes concrets pour le Materialgerechtigkeit, la vérité du matériau.
La prédilection de Beat Zoderer pour un mélange radical d’art et d’objets du quotidien s’apprécie également dans son habilité à penser des installations in situ, particulièrement depuis le milieu des années 1990. Par exemple, ses interventions peuvent mettre en valeur un détail architectonique de l’espace d’exposition, ou bien le contredire, ou encore transformer le « cube blanc » en une symphonie de formes et de couleurs ; son imagination spatiale sert également avec succès sa réflexion sur l’art dans l’espace public.
Souvent, l’ambivalence engage le spectateur, physiquement et mentalement. « À une certaine distance, mes tableaux peuvent être vus comme des peintures. Mais de près, vous pouvez voir qu’ils sont faits de matériaux bon marché, quotidiens. Je vais à l’encontre des attentes du public pour le garder en éveil, attentif ; cela le maintient aussi au plus près de ce qui compte vraiment. » Usant des moyens de la peinture pour réaliser des sculptures, et inversement, les Penta objects jouent du trouble de la planéité et sollicitent l’œil à de constants ajustements de focale.
Beat Zoderer apprécie la facture anonyme d’un matériau banal, quitte à supprimer complètement la main. Il revendique l’approche pragmatique dans laquelle tout doit rester très simple, toujours ; formes et couleurs, matériaux et intentions sont réduits à l’essence même, sans recherche de perfection. « Je ne cache pas comment les choses sont faites » confie-t-il. À ce titre, ses Fold & Dip sont particulièrement manifeste : des feuilles de papiers de couleur pliées dont les arêtes sont plongées dans la peinture, dans un dispositif et une chronologie parfaitement lisibles. Le souci de netteté ou de perfection n’entre pas en ligne de compte ; au contraire, la petite irrégularité dans l’ordre donné est laissée pour ce qu’elle est. « Si vous surlignez l’erreur, vous en faites quelque chose de conceptuel, et cela vaut aussi pour les matériaux : ils sont là et je ne les recherche pas, je les trouve… ». Ainsi, cette confiance placée dans le hasard, le naturel et l’imprévisible concourt à la dimension sensuelle et organique de l’œuvre.
L’ensemble des réalisations de Beat Zoderer ont une séduction très intellectuelle, leur invitation à déjouer les points de vue conventionnels est frappant. Par un équilibre réussi entre la radicalité formelle et l’extravagance, la géométrie et l’organique, la ligne droite et tortueuse, la perfection et l’aléatoire, le monochrome et le multicolore, Beat Zoderer parvient à marier avec une parfaite aisance des catégories formelles diamétralement opposées. Il résout des contradictions en apparence insolubles, avec la légèreté et la félicité propres aux esprits sagaces.
1 Toutes les citations de Beat Zoderer sont extraites d’une conversation avec Dorothea Strauss publiée dans Beat Zoderer: New Tools for Old Attitudes, Hatje Cantz, Berlin, 2008.
2 Extrait du Manifeste de l’art concret, rédigé et signé en 1930 à Paris par Theo van Doesburg, Otto Gustav Carlsund, Jean Hélion, Léon Tutundjian et Marcel Wantz.
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Vernissage Samedi 24 février 2018 11:00 → 21:00
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous
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L’artiste
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Beat Zoderer