Bernhard Rüdiger

Exhibition

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Bernhard Rüdiger

Past: February 26 → April 9, 2011

Mauvaises herbes de Giverny

Par «philosophie à coups de marteau» Nietzsche entendait moins un procédé de destruction des idoles, qu’une façon de les faire résonner, comme les marteaux du piano produisent un son en frappant ses cordes. Ou encore, comme métaphore du marteau de l’artiste qui, joint au burin, façonne une sculpture.

Différentes mauvaises herbes issues du jardin de Giverny, qui fut celui de Claude Monet, sont posées sur de grandes feuilles à dessin avant d’être, par Bernhard Rüdiger, frappées à coups de marteau. Ainsi, le suc des tiges et des fleurs jaillit, se dépose et imprègne le papier dans un dessin fidèle à l’original. En recueillant les mauvaises herbes du Jardin de Giverny, celles qui, sous l’œil de l’illustre peintre impressionniste, devaient disparaître du paysage recomposé avant d’être peint, c’est à l’idole Claude Monet que Bernhard Rüdiger s’attaque à coups de marteau. Ou plutôt, à un discours fondé sur des questions de représentation du monde (dans des termes plus contemporains : de témoignage et de commémoration) quand, pour les héritiers des avant-gardes, il s’agit de le réaliser. Travail encore et toujours à entreprendre face aux thuriféraires inlassables d’une peinture plus prompte à émouvoir qu’à penser.

Il s’agit donc de faire résonner l’idole — et la représentation — autrement, fut-ce à coups de marteau.

Et si Bernhard Rüdiger frappe l’idole sans remords, ce n’est pas seulement dans une volonté de destruction mais pour en tirer de nouvelles résonances.
Si la destruction est un thème récurrent de l’art, il est plus rare qu’un artiste veuille donner à voir ce que sa pratique détruit dans l’instant où elle crée. Comme si le prix à payer pour toute création était la destruction de ce qui vivait encore dans la première intuition de l’artiste. Comme si, finalement, la vie et l’art ne pouvaient être confondus dans toutes leurs occurrences, l’art ne pouvant révéler ce qui donne vie à l’événement qu’en la lui ôtant. Comme si la malédiction de Frenhofer était une condition de l’art : Il y a bien «une femme là- dessous» dans le «chef d’œuvre inconnu», mais la vérité partielle d’un pied parfaitement et magnifiquement restitué se révèle au prix de la disparition (sous le fatras indistinct d’une multitude de couleurs) de tout le reste du corps vivant. La métaphore de Balzac ne concerne pas seulement l’art figuratif. C’est tout événement qui est condamné à mourir dès lors qu’un artiste veut nous en révéler la force vivante. Mais cette malédiction est aussi la chance et la raison de l’artiste. Car de cet événement infini et continu, toujours en devenir, dont il saisit une occurrence, il ne resterait rien de visible ni rien de pensable sans cette opération et cette métamorphose.

Et c’est la propriété de l’art, sans doute, de ne jamais prétendre être la restitution de l’événement infini et multiforme, de ne jamais prétendre être la reproduction exacte de l’événement, mais d’en être seulement une circonstance. Car la confusion naît dès lors que l’idole prétend se confondre avec l’événement, quand la création prétend ne rien détruire mais être la vérité sans faille, sans reste, de l’événement vivant. L’art et l’idole ne prétendent plus en ce cas être une circonstance du réel mais tout le réel, ne prétendent plus être une circonstance de la vérité mais la vérité elle-même. Et sous couvert d’être l’événement plein et entier, c’est l’événement infini et continu que l’idole étouffe.

En laissant paraître son œuvre de destruction, c’est précisément la création qu’un artiste nous indique. C’est qu’il a fallu qu’une œuvre soit créée, au prix de la vie d’une situation, pour que le réel, sous la forme d’une circonstance particulière, nous soit donné à voir, nous soit offert à la contemplation et à l’analyse.

Instant Moderne

Treize tableaux. Chaque tableau présente une grande feuille blanche percée d’un cercle d’une épaisseur évidée d’environ deux centimètres et dont la circonférence varie. Cette circonférence, au fil de la vision des treize tableaux, grandit ; comme les cercles concentriques d’une chute de pierre dans l’eau ou d’une bombe sur la terre. Dans la partie évidée qui dessine le cercle apparaît chaque fois un détail différent du plan d’une ville : Hiroshima.
L’onde dessinée par Bernhard Rüdiger apparaît sur une feuille qui dissimule le plan de ce que fut la ville. Pour comprendre l’effacement d’une ville, il fallait à son tour en effacer le plan, au fil de la propagation d’un cercle de destruction. Chaque cercle est la métaphore de la destruction de la ville au fil de l’onde de choc. Ce que nous montre le dessin, c’est chaque fois les quartiers de la ville que la bombe est en train de détruire à cet instant.

Face à cette œuvre de Rüdiger, spectateurs aveugles d’une expérience sans partage possible, nous ne verrons rien d’Hiroshima. Mais Rüdiger trouve les outils qui font de son œuvre une circonstance de l’événement, comme l’une des ondes qui, infiniment, naissent du choc initial. C’est l’effacement de la ville, contre l’effacement d’une vérité certes intransmissible mais irrécusable, que Rüdiger indique. L’œuvre n’est pas un appel à la compassion, un mémorial de plus dont la principale vertu est de nous permettre d’expier nos fautes les plus diverses dans la violence d’une émotion miséricordieuse.

Elle nous indique, dans le même temps, la nécessité et la limite de la connaissance et de la mémoire. Car si l’art ne peut créer que pour autant qu’il détruit, l’art ne peut donner à voir que pour autant qu’il dissimule. Ici, tout au plus l’artiste peut-il prétendre restituer l’onde de choc que fut et est encore Hiroshima. Mais au prix de la dissimulation de ce que fut la ville avant cette onde qui se propage encore. Elle nous donne à penser l’événement en même temps qu’elle nous signale la limite du pensable. De la même façon, l’œuvre — les treize « stations » — subdivise et montre un temps (celui de l’explosion de la bombe) qui n’est pourtant pas mesurable.

Linea infinita

Tout en rendant hommage à la Linea di lunghezza infinita de Manzoni, Bernhard Rudiger affronte ici d’une autre façon le même défi paradoxal : indiquer ce qui n’est pas montrable, penser la limite du pensable sans espoir de la franchir, donner une forme fini à ce qui est infini. La Linea Infinita tient à la fois du Flocon de neige de Koch, dans son concept, et du Ruban de Möbius, dans sa forme. À partir de la reproduction répétée d’une carte postale d’Hiroshima détruite par la bombe atomique… Bernhard Rüdiger a créé une ligne d’images identiques. Enroulée sur elle-même, cette ligne n’a ni début ni limite assignable, ligne d’horizon dont le sens se déploie sans fin, propagation d’une perspective indépassable, sans cesse reconduite au fil de notre histoire, limite montrable et pensable mais inatteignable. Multiple illimité, l’œuvre collectionnée devient à son tour infinie et inassignable ; son acquisition par des collectionneurs la disperse dans le temps et dans l’espace. Le collectionneur participe à son tour à la propagation d’une onde infinie née dans le drame d’Hiroshima, perçue et recueillie par Rüdiger avant qu’il n’en crée une nouvelle occurrence.

Time Machine

Une céramique blanche, une figure géométrique, qui évoque sans souci de paradoxe tout à la fois un habitat ultra-moderne en forme d’étoile à trois branches, et une grotte ancestrale à trois cavités creusées par le temps. Au centre de cet « habitat » couvert, sous le point de jonction des trois « toits » en pente, un cercle évidé, un foyer ouvert, seulement fermé par le socle qui accueille la sculpture. Et en lisière de chacune des branches, tournés vers l’extérieur, trois métronomes, chacun réglé sur une mesure différente. Trois instruments, trois « figures », tournant le dos au vide mais partageant le même foyer. Et chacun tourné dans sa propre direction, dans un rythme et une vitesse propre.

GDM, Paris — Galerie de Multiples Gallery
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