Camila Olivieira Fairclough — Aktypi

Exposition

Peinture

Camila Olivieira Fairclough
Aktypi

Passé : 21 mars → 10 mai 2014

Camilaoliveirafairclough repentir grid Entretien — Camila Oliveira Fairclough À l’occasion de sa première exposition personnelle à la galerie Emmanuel Hervé, Camila Oliveira Fairclough (née en 1979 à Rio de Janeiro, vit et travaille à Paris) revient sur son rapport à la peinture, au texte mais aussi sa relation particulière au langage et à la performance, récemment apparue dans son travail.

Tout porte à considérer les tableaux de Camila Oliveira-Fairclough d’assez loin, pour ne pas en perdre de vue les limites.

En observant la distance nécessaire, en résistant un peu à la tentation de plonger, on constate sans peine que ces tableaux n’ajoutent ni ne retranchent rien au monde qui les entoure, mais qu’ils y participent simplement en lui empruntant à peu près tout ce qui s’y passe d’assez remarquable aux yeux de l’artiste et en nous le donnant à voir autrement — tout en stimulant la confusion de nos conceptions artistiques.

Pour cela la forme du tableau est utile : le tableau pris comme pancarte qui attire l’attention.

Il n’est donc pas question de peindre le mur qui le reçoit de la même couleur que lui. Il faut qu’il se détache et que ses couleurs se détachent assez nettement entre elles. Pas de dégradé (ou seulement par exception), une touche assez franche et, à l’intérieur de la canonique forme tableau, des formes simples.

Mais là, précisément, tout se complique.

Car d’abord le mot forme qui, sournoisement mais si prévisiblement, vient soudain de s’inviter emprunte ici deux acceptions. La forme dite canonique s’assimile à un genre, un regroupement d’individus qui peuvent être assez distincts, mais qui doivent présenter des caractéristiques en commun : c’est à cette forme qu’on reconnaît le genre. Les formes dites simples, elles, ne le sont plus tout à fait, car à l’être trop — trop simples et trop formelles —, elles ne ressemblent plus à rien : au mieux, elles se démarquent les unes des autres ! C’est le propre des formes géométriques. Le carré se démarque peu du rectangle ou du losange, mais on ne peut le confondre avec le cercle, il se définit donc par ses caractéristiques propres (quatre côtés égaux perpendiculaires deux à deux) et par les caractéristiques dont il s’éloigne le plus (celles qui le rend notamment si différent du cercle).

Et pourquoi d’autre, tout se compliquerait, au fond, là où les choses sont si simples en apparence ? En voici un exemple.

Trois triangles superposés peints en vert forment un schématique sapin de Noël : en regardant la figure dont Camila Oliveira Fairclough a fait un tableau au titre sibyllin et ne supportant pas les italiques : ^, 2007, on peut se dire que le sapin a inspiré l’invention (!) du triangle — ce qui caractérise bien une certaine façon de voir les choses! Or dans le monde qui nous entoure, il n’y a pas que des arbres, il y a des œuvres d’art. Pourquoi Camila ne s’en inspirerait-elle pas? Volpi, Daniëls, Palermo, des sources sont revendiquées. Et puis il y a le bouillon de culture, les références indirectes, et assez bric-à-brac, à Closky, Cointet, Rothko, van Golden… Enfin entre le monde et nous, il y a aussi les mots. Difficile de s’en passer. Difficile de les contourner. Cette indexation du monde sur la langue, et retour, l’artiste s’y plie jusqu’à l’absurde en organisant son site Internet personnel par ordre alphabétique.

À la lettre A, on trouve les mots apéritif, archive et atelier, titres de trois œuvres peintes en 2010, la première dans un lettrage cursif parfaitement lisible, la seconde dans le désordre et la troisième à l’envers.

À la lettre Z, on trouve… la lettre du même nom, dont la barre oblique se confond avec la diagonale ascendante du tableau éponyme et les barres supérieures et inférieures avec les bords correspondant du tableau, en un irrespectueux hommage à Noland ou à un minimalisme encore plus propre confinant à l’esthétique du logotype. Peint en 2006, Z, heureusement, la chronologie ne suit pas l’ordre alphabétique.

De A à Z, on rencontre toutes sortes de choses et de personnes, Chloé, 2011, Claire, 2012, Denise, 2012, Rosa, 2012, et même deux tableaux figuratifs à motifs végétaux : une plante défleurie Jacinthe, 2003, et un rameau de Lichen, 2003.

À l’instar de ces spécimens prélevés quelque part — dans le registre de la nature ? On a peine à y croire — et qui affichent leur étrangeté sur un fond blanc, rejoignant cette fois l’esthétique pharmaceutique inspirée des blouses blanches, chaque tableau peut être appréhendé comme la pièce détachée d’un organisme plus complexe, comme une lettre prend sens en formant un mot qui appartiendra à tout le monde, comme un tableau en appelle un autre et puis un autre… Comme se constitue une œuvre la plupart du temps, œuvre après œuvres.

Pour sa première exposition à la galerie Emmanuel Hervé, Camila Oliveira Fairclough a choisi de réunir trois ou quatre tableaux manifestant bien nettement sa réticence à se forger (ou plutôt à capter) un style et à s’y tenir (soit : à s’en rendre dès lors possiblement captive).

D’abord, pourquoi aktypi? Parce que, même si les joueurs de Scrabble francophones les plus accommodants admettent jusqu’à 305 mots comprenant les lettres K et Y (pluriels et formes conjuguées comprises), et jusqu’à 30 parmi ceux de six lettres, la présence de cette paire est remarquable dans notre langue. Un mot seulement regroupe en outre toutes les lettres d’aktypi en français, un mot scientifique et fortement teinté d’exotisme : le mot kényapithèque, un nom d’animal, fossile de surcroît ! On est tous emprunté lorsqu’on prononce pour la première fois un mot ou un patronyme inconnus. Tant qu’on n’a pas approché le sens du premier, tant qu’on n’a pas rencontré la personne porteuse du second ou l’une au moins de ses relations, tant qu’on n’a pas pu se frotter à ses activités — qu’elle soit maraîchère ou philosophe —, ces insolites constructions de lettres ne sont que des « bibelots d’inanité sonore » et d’excentricité graphique. Or c’est à cette expérience courante que fait écho le tableau qui donne son titre à l’exposition et ce n’est pas anodin s’il consiste en la reproduction d’une signature trouvée dans le livre d’or d’une autre exposition. On chercherait en vain des similitudes plastiques entre le travail de Camila Oliveira Fairclough et celui de Guy de Cointet, pourtant les deux artistes présentent la même disposition au chapardage et au recyclage ; Cointet appréciait, lui, tout particulièrement les toponymes exotiques.

Au côté de ce tableau volubile, peint dans une langue étrangère aux consonances grecques autant qu’amazonienne, on devrait trouver deux tableaux plus taciturnes. De même taille, ces deux-là seraient tout à fait des ready-made si, pour les créer, l’artiste n’avait « reconditionné » en les tendant sur châssis des tentures décoratives à l’apparence de décors abstraits. Imaginez un peu un monochrome dégradé (la voilà, l’exception !) ou, encore un effort, des motifs sans motifs, ou presque. Imaginez Ruscha, affligé de torticolis et peignant couché sur le côté un horizon dont il s’évaderait par gravitation, un horizon vertical et crépusculaire! Au moment où j’écris, Camila hésite à présenter ensemble ces deux grands tableaux qu’elle n’a pas peint. La série est une péripétie dans l’histoire du style, on la comprend.

L’espace de la galerie n’est pas très grand — pour prendre le recul nécessaire il faut donc de l’imagination ou sortir et regarder à travers la vitrine —, mais il peut encore s’y introduire autre chose. Un tableau peint au cours du mois précédant le début de l’exposition, par exemple, un tableau péché au hasard d’une bribe de conversation accrochée en marchant dans la rue, justement : un tableau peint avec… les pieds et avec les oreilles !

Aktypi par Frédéric Paul, Février 2014

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