Céline Nieszawer — Lost Control

Exposition

Dessin

Céline Nieszawer
Lost Control

Passé : 27 avril → 22 juin 2013

En 1972, l’écrivain américain Philip Roth imagine les aventures d’un professeur de littérature comparée, amusement spécialiste de Kafka et de Gogol, saisi d’une transformation corporelle aussi inattendue que radicale : en une nuit, David Kepesh se métamorphose en un … énorme et unique sein ! Devenu boule de chair élastique au téton rose vif, David-le-sein vit dans un hamac maintenu par deux harnais de velours, soigné par une infirmière, massé par sa petite amie jusqu’à l’extase, et surveillé par son psychiatre. Car bien entendu, le doute habite notre cher professeur : rêve-t-il, est-il devenu fou en jouet d’un délire hallucinatoire ? Où est-il, pour de vrai, devenu cet absurde sein qui pense, souffre et médite?

Philip Roth introduit son conte Le Sein de cet avertissement tout voltairien :

« Cela commença étrangement. Mais aurait-il pu en être autrement, de quelque manière que cela eût commencé ? On a pu dire, bien sûr, que tout sous le soleil commence « étrangement » et finit « étrangement » : une rose parfaite est « étrange », une rose imparfaite ne l’est pas moins, et la rose qui a une beauté ordinaire de rose et pousse dans le jardin de votre voisin l’est aussi. Je n’ignore pas que, dans une certaine perspective, tout apparaît terrifiant et mystérieux. »

Etrange et merveilleux, le dessin demeure l’écriture la plus fictionnelle que l’on puisse lire dans l’art. Rien de plus espiègle, en effet, que ce trait qui chemine, se transforme et fixe, soudain, par l’accouplement à la page blanche du papier, des signes des plus multiples. Visage ou poire, pied ou cheval, bras ou fleuve, le dessin mène au pays de l’enchainement et de l’enchantement. Or, en ce domaine, nous voilà bien servi par les œuvres graphiques, collages et dessins de Céline Nieszawer qui offre dans sa série Lost Control des histoires à dormir debout, contes fantasmés et histoires surnaturelles. Dans ces pages fictionnelles s’agitent des troupes de petits doigts en balade, des nuées de seins en trophée, des couples de jambes ultra-gainées ou encore des visages occultés de masque, des chiffres et des trames en goguette. Ici, tout lévite, tout se démembre et tout se recompose. Ainsi, comme dans le livre de Philip Roth le sein devient autonome, le doigt quitte la main, le pied va sans sa jambe. Et tout se métamorphose, puisque le globe s’affiche en offrande gourmande, les doigts filent en pinces de homards ou en baguettes et ustensiles, les jambes finissent en pointes acérées de plumes d’écolier. Et chacun de ces membres transformistes irait vivre sa vie dans l’espace si une rouée machinerie graphique d’entrelacs de fils, de tresses, de traits, de nœuds ne venait arrimer ces fragments dispersés.

Sur le papier, malgré les apparences d’une joyeuse meneuse de revue, Céline Nieszawer orchestre son théâtre fétichiste et tient fermement le fouet du dompteur : sa ligne semble secréter, sans jamais que la pointe ne s’élève du papier, ses corps en rébus unis par la sève de l’écriture et du dessin. C’est étrange et mystérieux. On dirait les tracés en pointillé des morceaux choisis de l’animal sur le poster pédagogique chez le boucher. Et en même temps, le jeu d’énigme par lequel l’enfant relie les points de 1 à 22, pour découvrir, enfin, la fleur ou la maison. Ou encore, plus suave, le délicat patronage un peu sadique de la couturière assemblant nœuds de soie, fils à ourlet, faufilage et point de bâti pour un corps aimé à gainer. Le Lost control, dit Céline Nieszawer, c’est fait de fragments, de souvenirs, de choses qui arrivent, cela se déploie tout seul sur le papier. Or, le hasard et la verve mènent à des pensées plus corsetées que l’humeur tendrement ludique, la distraction lubrique et la manière cartoonesque occultent à plaisir. Fantaisie cousue-main et rébus au glamour burlesque, ces fantaisies graphiques cachent bien des masques, avouent la prégnance de corps démembrés, réunis et recousus, comme figures altérées, étiolées de liens et de cicatrices pour ravauder, on dirait, des maux cachés : voilà l’énigme à deviner.

Laurent Boudier
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