Christodoulos Panayiotou — Theories of Harm

Exposition

Bijoux, céramique, photographie, sculpture...

Christodoulos Panayiotou
Theories of Harm

Passé : 12 mars → 16 avril 2016

Le monde entre en scène : Christodoulos Panayiotou le met en actes comme un théâtre où se jouent, s’édifient, s’éclairent les mythes qui nous unissent, les narrations implicites, les relations affectives et économiques. Pour sa première exposition personnelle à la galerie kamel mennour, « Theories of Harm », l’artiste chypriote construit un dédale d’énigmes qui, paradoxalement, élucident le monde et en révèlent des récits cachés.

L’exposition parisienne s’ouvre sur une fontaine, figure classique de l’histoire de l’art. Celle-ci est une cathode de cuivre, un matériau hautement signifiant pour l’artiste. Le nom de Chypre a donné son nom à ce métal. L’Antiquité le désignait comme « aes cyprus » (bronze de Chypre) puisque l’île en était le centre de production. Le talent de cuivre était alors un numéraire comme la mine d’argent et le statère d’or. Cette étymologie commerciale résonne de la parabole du marchand de cuivre1.

Ce marchand va trouver une fanfare à qui il propose d’acquérir les instruments de musique pour la matière dont ils sont faits. Il souhaite acheter une trompette pour son poids de cuivre, au prix du cuivre en ignorant la valeur ajoutée de l’instrument ; sa fabrication, sa musicalité, son histoire. Entre le matériau brut et la trompette s’étend un univers de désirs, d’élaborations, de savoir-faire que le marchand prétend pouvoir ignorer. Par cette parabole, Bertolt Brecht met en relief l’importance de l’immatériel dans ce qui est pris pour « l’évidence de la réalité pure et simple ». Dans l’œuvre L’Achat du cuivre, le flux symbolique se manifeste par l’eau. Lorsque l’eau est coupée, la fontaine redevient cuivre. Son identité se déconstruit. Elle perd ses liens avec la notion même de fontaine pour se réduire à sa matérialité brute.

Plus loin, un sol de marbre. Il laisse apparaître ce qui, habituellement, est effacé : les indications écrites par les carriers concernant le poids, la provenance, la qualité et la destination. Ces inscriptions sont les signes de la transformation du matériau brute en matière noble. Elles rendent possible la sculpture, la construction, le décor mais elles sont toujours gommées. Le matériau se trouve vierge de tous les actes dont il est pourtant la résultante. Aussi la matière finale se trouve-t-elle idéalisée et fétichisée. Christodoulos Panayiotou démystifie son aura de puissance en plaçant à l’avant-plan les étapes du travail humain qui ont rendu possible son usage.

Michel-Ange avait peut-être déjà eu cette intuition artistique en posant à même le sol, sous les fenêtres du pape Jules II à Rome, les gigantesques blocs de marbre brut transportés depuis les montagnes de Carrare. La population romaine venait s’émerveiller de la roche inentamée, qui allait devenir un chef-d’œuvre : Le Tombeau de Jules II. Ce sol de marbre rappelle aussi le Magnesium Copper Plain (1967) de Carl Andre. Le geste du minimaliste américain est fondateur de la sculpture comme lieu d’où penser le monde.

Les pièces réunies pour « Theories of Harm » sont une invitation à décrypter et démythifier les canaux de l’émotion. Les mosaïques dessinent des rythmes contemporains. Les tesselles proviennent de copies d’œuvres antiques. L’artiste les a acquises en Syrie avant le début de la guerre. Elles sont décomposées, réappropriées et recréées. De même l’imposante roche calcaire se joue de l’histoire et du réel. Le vrai et le faux s’y rencontrent. Elle est en effet la reproduction par Christodoulos Panayiotou d’un détail d’une œuvre des collections du Metropolitan Museum, Bearded Head Wearing a Conicol Helmet, taillée dans une authentique matière archéologique. Une œuvre est cachée au regard. Chaque visiteur peut solliciter l’accueil de la galerie pour la voir. Elle est un pendentif à la mémoire d’un héros vénitien et chypriote, Marcantonio Bragadin. Il s’agit d’une promesse en or faite, en 1570, lors du siège de Famagouste, à Chypre…

Le vitrail, quant à lui, rejoue l’histoire du drapeau arc-en-ciel, connu sous le nom de « Rainbow Flag ». Cette bannière a été conçue par Gilbert Baker, graphiste et militant politique, pour la première LGBT Pride de San Francisco, en 1978. Le drapeau rencontra alors un succès fulgurant. La production s’affole au point de mettre le tissu de la bande rose en rupture de stock. Exit le rose, restent sept couleurs. Gilbert Baker, soucieux de conserver un nombre pair, retire deux couleurs le turquoise et l’indigo qu’il mélange pour créer un bleu royal. Pour Baker, le rose représente la sexualité (il donnera son nom au « Pink Dollar ») et le turquoise, la magie et l’art. Des couleurs que Christodoulos Panayiotou réhabilite et réagence dans son vitrail. Ce dernier est produit par la manufacture historique de Saint-Just, spécialisée, depuis le XIXe siècle, dans les vitraux de châteaux et de cathédrales ; le vitrail est ensuite réalisé par les ateliers duchemin. L’artiste remet en lumière des couleurs qui s’illuminent ou se ternissent en fonction des variations du soleil.

Les photographies botaniques signent un autre voyage sémantique. Vers le centre mondial de production de fleurs artificielles en Chine : Guangzhou. Ces fleurs représentaient jadis des objets de valeur ; Marie Antoinette les collectionnait. Produites en masse aujourd’hui, elles sont devenues des emblèmes de la mondialisation. « La valeur ne porte pas écrit sur le front ce qu’elle est. Elle fait bien plutôt de chaque produit du travail un hiéroglyphe. […] La transformation des objets utiles en valeurs est un produit de la société, tout aussi bien que le langage », a écrit Karl Marx2.

À son arrivée à Guangzhou, Christodoulos Panayiotou se rend compte que les fleurs artificielles de qualité sont toutes destinées au marché nord-américain : ne restent en Chine que les rebuts. Pour accéder directement aux fabriques, l’artiste chypriote se fait donc passer pour un commis voyageur occidental : « J’ai cueilli des fleurs dans les usines, comme si j’allais dans les champs. » La superposition de la photographie du vrai et du faux souligne l’hiatus entre la nature et sa transposition en marchandise. Cet écart contient en soi toute la question de la création de valeurs et ses dérives possibles. Ces dernières donnent à voir les méandres en circulation dans le langage et leurs effets réels. L’artiste entend le monde à la manière de Roland Barthes : « L’écoute dérive en scopie : du langage je me sens visionnaire et voyeur. »3 En transformant ses intuitions en dispositifs artistiques, Christodoulos Panayiotou ouvre des énigmes qui recèlent des libertés, précieuses comme des trésors enfouis.

1 BRECHT Bertolt, L’Achat du cuivre, L’Arche, Paris, France, 2008.

2 MARX Karl, Le Capital. Livre I, Flammarion, Paris, France, 2008.

3 BARTHES Roland, Roland Barthes, par Roland Barthes, Seuil, Paris, France, 2015.

Annabelle Gugnon
  • Vernissage Samedi 12 mars 2016 16:00 → 19:00

    Pour sa première exposition personnelle à la galerie kamel mennour, « Theories of Harm », l’artiste chypriote Christodoulos Panayiotou construit un dédale d’énigmes qui, paradoxalement, élucident le monde et en révèlent des récits cachés.

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47, rue Saint-André des arts
6, rue du Pont de Lodi

75006 Paris

T. 01 56 24 03 63 — F. 01 40 46 80 20

www.kamelmennour.com

Odéon
Saint-Michel

Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h

L’artiste

  • Christodoulus Panyiotou